Résumé : Quand le narrateur rencontre en 2003 Marlon Brando, star déchue sur les hauteurs de Hollywood, il découvre un ogre paranoïaque qui regarde en boucle ses anciens films. Épuisé et ruiné par les pensions de ses divorces, Roi Lear qui aura trop enfanté, dont un fils meurtrier, il n’est plus l’acteur bestial d’Un tramway nommé Désir, le révolté du Bounty qui acheta un atoll à Tahiti, le dictateur paternaliste du Parrain, le crâne monstrueux d’Apocalypse Now, mais un survivant qui attend la mort et cherche la force de l’apprivoiser. À travers un fascinant et joueur face-à-face, le narrateur sera son guide, puis son exécuteur.
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Présenté comme un roman par les éditions Ramsay, ces Derniers jours de Marlon Brando fondent leur singularité sur la multiplicité d’une approche que synthétise le style à la fois poétique et concret de Samuel Blumenfeld, critique de cinéma au Monde, spécialiste de l’acteur et déjà auteur de différents ouvrages consacrés au Septième art (L’homme qui voulait être prince. Les vies imaginaires de Michal Waszynski chez Grasset et Fasquelle en 2006 ; Au nom de la Loi chez Grasset en 2013 ; Sorcerer, sur le toit du monde aux éditions La Rabbia en 2018…). Entrelaçant la qualité descriptive du portrait littéraire au ton journalistique de la chronique, l’auteur revient sur sa rencontre avec le célèbre acteur. En fin de course, celui-ci rebute et fascine à la fois. Sans prétention quelconque, Blumenfeld dépasse sa sidération première pour raviver quelque chose de la superbe d’autrefois, subrepticement recouvrée par la délicatesse d’un regard, d’un geste ou d’une posture. Témoin de la fin d’un corps et garant de sa mémoire cinématographique, l’auteur rassemble les différents souvenirs d’une filmographie qui se confondent avec la personnalité désarticulée de Brando. À la manière de Joe Gillis, le scénariste de Boulevard du crépuscule devenu l’otage consentant de la star du muet Norma Desmond, Blumenfeld doit lutter avec des sentiments contraires. La démesure de Brando, ses obsessions et ses pulsions incontrôlables, façonnent les différents actes d’un spectacle grandiose et ridicule à la fois. Cette représentation paradoxale accompagne les derniers râles de la légende. Au-delà de l’anecdote et du morbide, l’ouvrage rappelle les tenants d’une existence irrémédiablement rattrapée par son passé. L’enfance de Brando, ses amours et ses peines, ses provocations et ses coups de génie se rapportent communément à l’image d’un corps dont la maladie compose la dernière mise en scène. Car c’est bien son goût pour l’absolu qui emporte en définitive l’acteur de Sur les quais et d’Un tramway nommé Désir. La relation entre la vérité et le mensonge fut, jusqu’à la fin de ses jours, sa problématique essentielle, au point de transformer sa vie en un agencement schizophrénique d’attitudes involontairement calculées et de sincérité feinte. De côté, tapi dans l’ombre de l’ombre, Blumenfeld observe en silence ce roi déchu cherchant à se défaire du poids de sa couronne. Son patrimoine, comprend-il, est trop lourd à porter, que ce soit pour ses enfants naturels ou pour ses héritiers symboliques (Sean Penn, Daniel Day-Lewis, Leonardo DiCaprio…). Alors, par sa présence et sa plume, le journaliste le soulage progressivement de cet inconfort qui imprègne aujourd’hui les pages de cet admirable récit de fin du monde.
- LES DERNIERS JOURS DE MARLON BRANDO
- Auteur : Samuel Blumenfeld
- Éditions : Stock
- Collection : La Bleue
- Date de parution : 21 août 2019
- Format : 256 pages
- Tarif : 18,50 €