Synopsis : C’est la ferme où Thomas est né. C’est sa famille. Son frère, qui ne reviendra plus, sa mère, qui est en train de l’imiter, et son père, avec qui rien n’a jamais été possible. Il retrouve tout ce que qu’il a fui douze ans auparavant. Mais aujourd’hui il y a Alex, son neveu de six ans, et Mona, sa mère incandescente.
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Récompensé par le prix Orizzonti du Meilleur scénario à la 76ème Mostra de Venise, Revenir, premier long-métrage de fiction de la jeune cinéaste Jessica Palud – qui a travaillé en tant qu’assistante réalisatrice chez Bertolucci et Philippe Lioret entre autres –, nous emmène en pleine campagne française dans une ferme isolée, où les relations interpersonnelles sont compliquées, où les non-dits et les secrets se multiplient, où l’incommunicabilité règne. De retour forcé dans sa famille d’éleveurs après un exil au Canada, Thomas, incarné par le charismatique Niels Schneider (Sybil, Gemma Bovary), est accueilli par Mona, interprétée par l’incandescente Adèle Exarchopoulos (La Vie d’Adèle, Noureev), la compagne de son frère décédé et leur très jeune fils prénommé Alexandre (l’attachant Roman Coustère Hachez âgé de six ans). Hélas, l’exploitation tourne au ralenti : alors que la mère (Hélène Vincent) de Thomas est mourante, veillée par un père (Patrick d’Assumçao) muré dans le silence, le jeune homme, qui se rapproche de la belle barmaid complètement dépassée par les événements, découvre peu à peu la terrible vérité sur la mort de son frère et sur la misère économique locale. La trame de ce drame à la fois intimiste et délicat mettant en scène des protagonistes sensibles et désorientés, présente d’indéniables similitudes avec Marlon, le dernier court-métrage de la réalisatrice, dans lequel le personnage éponyme, une adolescente de quatorze ans, rend pour la première fois visite à sa mère incarcérée. Particulièrement attachée aux thématiques de l’héritage et du mal-être au sein de la cellule familiale abîmée, Jessica Palud adapte donc très librement le roman L’amour sans le faire de Serge Joncour. « Revenir », titre-verbe au caractère universel, synthétise à lui seul tous les enjeux du film construit en quasi huis-clos.
Préférant ici la réserve à l’hystérie, la mise en scène révèle par touches et avec beaucoup de pudeur, l’intrication des ressorts dramatiques. La chaleureuse lumière estivale, qui baigne et enrobe les magnifiques paysages de la Drôme, contrebalance avec la froideur des silences ou l’absence de contact physique. Symbolisant le monde de l’enfance, le petit Alex, seul rayon de soleil candide qui contraste avec le poids des circonstances tragiques, est le point de jonction de ces deux « drames » qui se frôlent, se perdent, puis se retrouvent. Niels Schneider est impeccable dans le rôle de cet oncle très attentif et protecteur, devenu une sorte de père de substitution. Protagoniste en crise, Thomas doit en effet se reconstruire sous le regard complice, espiègle et bienveillant de son neveu dont il est l’unique repère. Incapable d’assumer pleinement son rôle parental, Mona, quant à elle, invite le spectateur à s’interroger sur l’omniprésente problématique de l’échec éducatif. Comme en témoigne la scène d’amour dans la boue, Jessica Palud filme les corps de très près, scrute les visages, comme pour déchiffrer les émotions et les moindres gestes des personnages taiseux qui composent cet émouvant portrait de famille « recomposée ».
De plus, la sensualité bestiale qui accompagne ce coup de foudre on ne peut plus spontané et imbibe les corps en fuite, lesquels errent sans savoir d’où ils viennent ni où ils vont, contribue à la réussite de cette mise en scène sobre. À la manière de Petit Paysan ou Au nom de la terre, la réalisatrice aborde également les difficultés actuelles rencontrées par les agriculteurs – les fermes sans bétail, la campagne déserte et sa profonde solitude –, dans le but de montrer, à travers la question du suicide, toute la détresse et le déclin du monde agricole. Revenir ne délivre pas tous ses secrets et laisse sa fin ouverte. Thomas est-il revenu pour toujours ? Pour peu que l’on goûte à ce cinéma délicatement naturaliste, on prend une belle leçon d’élégance.
- REVENIR
- Sortie : 29 janvier 2020
- Réalisation : Jessica Palud
- Avec : Niels Schneider, Adèle Exarchopoulos, Patrick d’Assumçao, Hélène Vincent, Franck Falise, Jonathan Couzinié, Roman Coustère Hachez, Catherine Salée
- Scénario : Jessica Palud, Philippe Lioret, Diastème d’après le roman L’amour sans le faire de Serge Joncour
- Production : Marielle Duigou, Philippe Lioret
- Photographie : Victor Seguin, Stéphanie Doncker
- Montage : Thomas Marchand
- Décors : Léa Mysius
- Costumes : Alexia Crisp-Jones
- Musique : Augustin Charnet, Mathilda Cabezas
- Distribution : Pyramide Films
- Durée : 1h17