Résumé : Dès la naissance du cinéma et le court-métrage Le Christ marchant sur les flots de Georges Méliès (1899), les cinéastes se sont emparés des sujets religieux, et plus spécifiquement de la question des miracles. Dans de grandes fresques hollywoodiennes, telles que Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956) ou Ben-Hur (William Wyler, 1959), le miracle constitue l’apothéose qui associe la sidération des spectateurs à un émerveillement religieux. D’Ordet (Carl Theodor Dreyer, 1955) à L’Apparition (Xavier Giannoli, 2018) en passant par Bruce tout-puissant (Tom Shadyac, 2003), le phénomène miraculeux a connu une multiplicité d’évocations, au cinéma et dans les séries. C’est à chaque fois une expérience-limite qui fait s’opposer l’invisible et le visible, la folie et la raison, le bien et le mal. Par la mise en scène, le miracle peut être sublimé, dénoncé comme supercherie, ou au contraire trouver une dimension nouvelle. Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran explore les modes de représentation du miracle, au croisement des questions esthétiques et spirituelles.
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Si pour Jean Epstein la « plus grande joie du cinéma » serait de nous faire « découvrir inopinément, comme pour la première fois, toutes choses sous leur angle divin », Timothée Gérardin, critique de cinéma, fondateur du blog « Fenêtres sur cour » et déjà auteur de Christopher Nolan, la possibilité d’un monde (chez Playlist Society, 2018), propose de préciser cette fonction autour d’un concept unique, les « cinémiracles », tiré du « Cinemiracle », un format de projection en écran large inventé dans les années 1950. À partir d’un corpus clairement délimité dans son fond (le miracle se conçoit comme une rupture dans le récit qui instaure un avant et un après, excluant de fait tout scénario fondé sur le merveilleux qui, lui, implique un univers enchanté dans lequel le surnaturel est la norme), l’étude multiplie les exemples. Aux incontournables (Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini, Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson…) s’ajoutent de nombreux exemples tirés de cinématographies éclectiques (de Rashomon d’Akira Kurosawa à Bruce tout-puissant de Tom Shadyac en passant par L’Île de Pavel Louguine). Ce premier tour d’horizon prouve déjà la profondeur de cette étude dont la réflexion se veut à la fois complète et rigoureuse. S’appuyant sur l’exercice de l’analyse filmique, Gérardin propose certains commentaires plus généraux touchant aux principes du dispositif cinématographique.
Le rapport entre l’invisible et le figuré permet ainsi d’opérer des comparaisons thématiques (la possession et l’incarnation, le prodige et le signe apocalyptique) qui engagent différents enjeux de mise en scène parfaitement appréhendés et décryptés par l’auteur. Bien que toujours présent, l’évidence du sacré est progressivement relativisé par le recours à des postulats théoriques (le rapport esquissé par André Bazin entre le mécanisme photographique et le suaire de Turin qui accueillit la silhouette du corps crucifié de Jésus) qui affirment la possible intrusion du miracle dans l’ordinaire (ainsi de l’esthétique documentaire du néoréalisme qui mène à une représentation transcendant le réel). S’affirme alors l’importance cruciale du point de vue dans la constitution du miracle.
Point de vue d’emblée triplée par la coprésence du sujet producteur, de l’objet récepteur, et du témoin observateur. À cette triple instance s’ajoute encore celle du grand ordonnateur, invisible par essence, mais rendu présent par l’acte miraculeux. Guérin prolonge alors sa réflexion en envisageant le paradoxe de cette ultime figure à travers Les Ailes du désir de Wim Wenders et la série The Good Place. À ce parcours fructueux en découvertes, s’ajoute une focalisation particulière sur certains procédés dramaturgiques (le Deus ex machina ou le régime de l’absurde) qui assure encore de la portée d’un objet d’étude aussi évident que complexe et auquel cet essai livre une brillante exégèse.
- CINÉMIRACLES, L’ÉMERVEILLEMENT RELIGIEUX À L’ÉCRAN
- Auteur : Timothée Gérardin
- Éditions : Playlist Society
- Collection : Essai / Cinéma
- Date de parution : 25 août 2020
- Langues : Français uniquement
- Format : 168 pages
- Tarif : 14 € (print) – 7 € (numérique)