La Main de Dieu de Paolo Sorrentino : critique

Publié par Jacques Demange le 21 décembre 2021

Synopsis : Naples dans les années 80. Fabietto Schisa, adolescent mal dans sa peau, vit avec sa famille excentrique et haute en couleurs. Mais son quotidien est soudain bouleversé lorsque Diego Maradona, légende planétaire du football, débarque à Naples et le sauve miraculeusement d’un terrible accident. Cette rencontre inattendue avec la star du ballon rond sera déterminante pour l’avenir du jeune homme.

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La Main de Dieu - affiche

La Main de Dieu – affiche

La Main de Dieu marque pour Paolo Sorrentino un retour aux origines. Quittant les palais de la cité éternelle, les paysages helvétiques et la brume irlandaise, le réalisateur retourne à Naples, sa ville d’origine et cadre de son premier long métrage, L’Homme en plus (2001). En optant pour cet itinéraire, Sorrentino semble trouver un moyen de revenir sur les idées reçues qui caractérisent depuis La grande bellezza (2013) l’appréciation critique de son cinéma. Qualifié de formaliste et d’esthète, considéré comme l’héritier de Fellini, le réalisateur italien s’amuse à détourner cette filiation pour mieux l’approfondir de nouvelles références. Certes l’influence du maestro reste toujours présente, mais son ombre plane moins sur la totalité du film qu’elle procède par touches subtiles. L’apparition fantasmatique d’un cheikh habillé de blanc ou le départ de Fabietto (Filippo Scotti) en train sous le regard souriant du moinillon s’offrent bien comme des allusions directes au cinéma de Fellini mais renvoient moins aux opus magnum du cinéaste qu’à ses premiers films (Le Cheikh blanc [1952] et Les Vitelloni [1953]). La logique du retour renvoie par ailleurs à la posture du repli méditatif. La Main de Dieu adopte ainsi une démarche concentrique, faisant du paysage napolitain un moyen de réfléchir l’intériorité du personnage. Le motif maritime incarne l’ambivalence d’un âge qui, entre l’espoir procuré par l’horizon et la crainte des profondeurs, navigue à contre-courant du monde environnant. En revenant à l’adolescence après son exploration mélancolique de la vieillesse (Youth [2015]), Sorrentino rappelle l’un des principes essentiels de sa mise en scène : c’est dans le chaos que la construction peut prendre forme.

 

La Main de Dieu

La Main de Dieu de Paolo Sorrentino

 

Cette idée semble à première vue prendre à contre-pied le style de La grande bellezza qui partait de l’accomplissement formel pour traquer les traces de son dérèglement. Ces deux démarches se retrouvent néanmoins dans l’importance que Sorrentino confère à la complexité du sentiment. Moteur principal de la réalisation, l’émotion creuse la profondeur du champ et densifie la dramaturgie de l’espace naturel. Ici, le réalisateur évoque moins le baroque fellinien que la spiritualité de Rossellini à laquelle renvoie explicitement le décor volcanique de Stromboli qui, à travers son entrelacement de fumée blanche et de cendre noire, se constitue comme lieu symbolique par excellence, métaphorisant l’intériorité divisée du jeune Fabietto.

 

Évidant l’espace du cadre, le conflit des éléments naturels rejoue sur un mode allégorique le mouvement incessant qui fonde la manière de Sorrentino. S’appuyant sur l’excellence des interprètes (aux côtés de Filippo Scotti, Teresa Saponangelo et Toni Servillo, acteur fétiche du réalisateur), l’argument du film assure la maîtrise d’une ambivalence qui mêle en une seule image la farce grotesque, l’exaltation épique et l’élégie la plus amère. La séquence de la perte de la virginité de Fabietto avec la baronne (Betti Pedrazzi) suscite le rire en même temps qu’elle ravive la sensation des premières fois qui jalonnent toute existence.

 

La Main de Dieu

La Main de Dieu de Paolo Sorrentino

 

Cette capacité de résurrection s’accompagne chez Sorrentino d’un discours sur le deuil en lien avec la perte de la grâce et de la splendeur. La beauté voluptueuse de Patrizia (Luisa Ranieri) ou le charme plein de candeur de Yulia (Sofia Gershevich) se diluent sans pour autant disparaître tout à fait à la manière des images qui hantent la mémoire, s’estompant pour mieux revenir nous frapper sous une forme transfigurée.

 

Le cinéma de Sorrentino trouve ainsi sa pleine puissance dans l’exploration du lien qui soutient le collectif en même temps qu’il conditionne l’individu. Le rapport amical ou familial structure l’ensemble de la filmographie du réalisateur et trouve dans La Main de Dieu son application la plus réussie ainsi que son achèvement le plus certain. Le départ de Fabietto fait ainsi moins écho aux solitudes narrées par Les Conséquences de l’amour (2004) et Youth qu’il annonce la résurgence d’un ton dont on ne saurait trop célébrer le grand retour. 

 

 

 

  • LA MAIN DE DIEU (È stata la mano di Dio)
  • Diffusion : 15 décembre 2021
  • Chaîne / Plateforme : Netflix
  • Réalisation et Scénario : Paolo Sorrentino
  • Avec : Filippo Scotti, Toni Servillo, Teresa Saponangelo, Marlon Joubert, Luisa Ranieri, Renato Carpentieri, Massimiliano Gallo, Betti Pedrazzi, Sofia Gershevich, Lino Musella, Mariana Falace, Renato Caprientieri, Cristiana Dell’Anna, Dora Romano, Alfonso Perugini
  • Production : Gennaro Formisano et Paolo Sorrentino
  • Photographie : Daria D’Antonio
  • Montage : Cristiano Travagliolo
  • Musique : Lele Marchitelli
  • Décors : Carmine Guarino
  • Costumes : Mariano Tufano
  • Durée : 2 h 10

 

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