Blonde d’Andrew Dominik : critique

Publié par CineChronicle le 3 octobre 2022

Synopsis : Adapté du best-seller de Joyce Carol Oates, Blonde est une relecture audacieuse de la trajectoire de Marilyn Monroe, l’une des icônes hollywoodiennes les plus atemporelles. De son enfance tumultueuse à son ascension fulgurante et à ses histoires d’amour complexes – de Norma Jeane à Marilyn –, Blonde brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer l’écart de plus en plus important entre sa personnalité publique et la personne qu’elle était dans l’intimité.

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Blonde de Andrew Dominik - affiche

Blonde de Andrew Dominik – affiche

Blonde, c’est la couleur des cheveux teints de Norma Jeane, devenue Marilyn. C’est aussi le titre évocateur du roman de Joyce Carol Oates, librement inspiré de la vie de la star, et du film adapté par Andrew Dominik. Titre qui porte en lui toute l’artificialité d’une teinture. Blonde n’est pas un biopic, mais bel et bien une fiction : une vision romanesque et fantasmée de ce qu’a pu être la vie d’une icône. Marilyn Monroe en est moins le sujet que l’héroïne tragique. Les éléments de sa vie, parfois amplifiés, parfois inventés de toutes pièces, y constituent avant tout un regard actuel sur une société de l’image. Cela, le spectateur le comprend toutefois à ses dépens, car le film ne prend pas la peine de le préciser en ouverture. De l’icône Marilyn, le grand public connaît essentiellement l’image. Des couvertures des magazines aux scènes de films cultes, elle est la blonde sexy et ingénue dont la jupe se soulève au-dessus d’une bouche de métro. Blonde cherche au contraire à raconter la vie de Norma Jeane. Ni l’icône, ni l’artiste, mais la femme. Le scénario mêle aux bribes de vie connues les rumeurs et les fantasmes du public et compose, à la façon d’un puzzle, l’histoire d’une femme dont l’image a pris le pas sur l’existence. La réputation sulfureuse de Marilyn se traduit en triangle amoureux avec Charlie Chaplin Jr. et Edward G. Robinson Jr., tandis qu’elle est réduite à une poupée sexuelle dans sa relation avec le président Kennedy. L’ellipse qui fait passer le personnage d’enfant à adulte matérialise d’entrée de jeu la conversion de la femme en image. Abandonnée par ses parents et les adultes de son entourage, Norma Jeane s’affiche, le plan suivant, en égérie de magazines. Les couvertures se succèdent, les flashs répétés dévoilent l’œil anonyme de l’appareil photo. Marilyn est née, offerte aux yeux de tous, et le blond prononcé de sa chevelure marquera son ascendant sur Norma Jeane tout le restant du film.

 

Ana de Armas - Blonde de Andrew Dominik

Ana de Armas – Blonde de Andrew Dominik

 

Blonde réinvestit aussi les tubes musicaux et les extraits des films de Marilyn Monroe pour les prendre à revers. Ce qui a fait autrefois la célébrité de la belle blonde sert ici à la désicôniser. À l’avant-première de Les hommes préfèrent les blondes, la Marilyn de l’écran, entonne Diamonds are a girl’s best friend. Face à elle, dans la salle, Norma Jeane ne se reconnaît pas dans cette « créature » flamboyante, en technicolor. Son visage à elle est noyé dans l’aura rouge vive que projette ce double factice sur la salle. Spectatrice de son propre succès, Norma Jeane est réduite à une copie rejetée, restée dans la chambre noire. Plus tard, I Wanna Be Loved By You se mue en mélopée des amours ratées et du bébé perdu qui, lui non plus, ne pourra jamais l’aimer.

 

Tout dans le film dit la dualité du personnage : la femme éclipsée par sa propre image. Ana de Armas crève l’écran, presque paradoxalement, tant la moindre de ses mimiques et jusqu’à ses intonations font croire à Marilyn. Le cadre carré, serré, qui n’est pas sans rappeler les vieilles télés cathodiques, renforce l’oppression de la femme, enfermée dans le rôle de Marilyn. Seules quelques rares scènes où le plan s’élargit brièvement, comme la nuit à la plage du trio amoureux, laissent entrevoir le possible d’une émancipation qui n’adviendra jamais. Mais le film s’autorise d’autres variations : élargissement dynamique ou format téléphone. La star est malmenée par le montage lui-même.

 

Ana de Armas - Blonde de Andrew Dominik

Ana de Armas – Blonde d’Andrew Dominik

 

La perpétuelle alternance du noir et blanc et de la couleur interroge elle aussi, le spectateur à son tour soumis à la frénésie d’images qui parfois lui échappe. Marilyn domine le noir et blanc, caractéristique des médias de son époque, tandis que Norma Jeane se dévoile davantage dans les scènes en couleurs qui semblent offrir une version désaturée, plus honnête, de la star de cinéma. D’autres fois, la frontière est si maigre que la teinte de l’image peut paraître arbitraire.

 

En fin de compte, tout n’est qu’illusoire : le noir et blanc esthétisé n’équivaut pas celui de la télé d’autant, la couleur ne fait qu’imiter le réel et le film, par son tourbillon polymorphe, n’a de cesse de rappeler ses propres artifices. Andrew Dominik n’hésite d’ailleurs pas à recourir à des effets presque expérimentaux pour donner forme à la psyché du personnage.

 

Ana de Armas - Blonde

Ana de Armas – Blonde

 

Blonde se veut ainsi une véritable expérience de cinéma. Une expérience éprouvante pour le spectateur lui-même, assailli pendant près de trois heures par un flux continu d’images changeantes, contradictoires, parfois alambiquées ou crues. Face à l’intimité imaginaire de Marilyn et la durée de certaines scènes, on peut difficilement s’empêcher de se sentir voyeur. Le spectateur devient malgré lui complice de la suffocation de Norma Jeane, étouffée par son alter iconique.

 

Le film excelle à provoquer le malaise. On partage, le temps d’une ultime accélération, l’essoufflement du personnage. Puis vient la délivrance : un pied inerte qui remplace, le temps d’un long plan fixe, le visage surexposé de l’actrice, enfin libérée de son rôle. L’adaptation de Blonde réussit son pari, provoquer l’empathie pour une image et par l’image.

 

Aésane Geeraert

 

 

 

  • BLONDE
  • Sortie Netflix : 28 septembre 2022
  • Réalisation : Andrew Dominik
  • Avec : Ana de Armas, Julianne Nicholson, Bobby Cannavale, Adrien Brody, Lily Fisher, Tygh Runyan, Michael Drayer, Sara Paxton, Ryan Vincent, Patrick Brennan, Evan Williams, Xavier Samuel, Dan Butler…
  • Scénario : Andrew Dominik
  • Production :  Dede Gardner, Jeremy Kleiner, Tracey Landon, Brad Pitt, Scott Robertson
  • Photographie :  Chayse Irvin
  • Montage :  Adam Robinson
  • Décors :  Florencia Martin
  • Costumes : Jennifer Johnson
  • Musique : Nick Cave, Warren Ellis
  • Distribution : Netflix
  • Durée : 2 h 46

 

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