Il était l’un des derniers grands cinéastes de la Nouvelle Vague, salué par Jean-Luc Godard comme son ultime confrère. Il nous a quittés à l’âge de 96 ans.
Si son nom est moins évocateur que ceux de Godard, Truffaut ou Varda, Jacques Rozier n’en fut pas moins l’un des réalisateurs emblématiques de la Nouvelle Vague française. Libertaire et perfectionniste, il n’a laissé derrière lui que cinq long-métrages.
Diplômé de l’IDHEC, il débute dans les années 1950 comme assistant de réalisation. Il tourne quelques courts-métrages, dont Rentrée des classes et Blue Jeans, désormais considérés comme précurseurs du mouvement des années soixante. C’est en 1962 qu’il réalise son premier film, grâce au concours du producteur Georges de Beauregard.
Adieu Philippine devient l’un des emblème de la Nouvelle Vague en marche. C’est le récit de Michel, un jeune machiniste de la télévision qui tente de percer dans le cinéma pour échapper au service militaire en Algérie, aidé de Juliette et Liliane entre lesquelles il ne peut choisir. Sujet épineux, tournage compliqué, le film remporte finalement le prix de la première édition cannoise de la Semaine de Critique.
Malgré cette consécration, il lui faudra près de dix ans avant que voit le jour son second long-métrage, Du côté d’Orouët, une comédie estivale décalée qui révèle l’acteur Bernard Menez. Le film ne reste en salle qu’une seule semaine.
Dans la foulée, Jacques Rozier est contacté par le producteur Claude Berri, qui lui propose de tourner un film avec Pierre Richard, dont le succès vient de monter en flèche dans Le Grand Blond avec une chaussure noire. Les naufragés de l’île de la Tortue offre au réalisateur l’occasion de tourner avec davantage de moyens financiers. Cependant, à sa sortie en salle, le film ne trouve pas son public.
Celui qui réalisait toujours sans scénario mettra dix ans encore pour revenir sur grand écran avec Maine Océan, que certains considèrent comme son ultime chef-d’œuvre. Quiproquo sur l’infraction d’une passagère, cette comédie dramatique se déroule essentiellement dans le train éponyme. Elle vaut à son auteur le prix Jean-Vigo, du nom du réalisateur naturaliste dont l’on n’a pas hésité à rapprocher Jacques Rozier, dont les films poétiques et volontiers populaires ont toujours flirté avec un réalisme nostalgique.
Suite à ce succès critique, Jacques Rozier se fait de nouveau oublier. Il signe en 2001 la fin de sa carrière d’une dernière comédie : Fifi Martingale, présentée au Mostra de Venise. Celle-ci ne bénéficie même pas d’une distribution en salle. Son dernier projet, Le Perroquet parisien, un film sur le monde du cinéma, est avorté en cours de tournage en 2006.
Si le réalisateur se retire peu à peu du paysage cinématographique, de nombreux hommages continuent à lui être rendus. Des rétrospectives lui sont consacrées en 1995 au Festival de La Rochelle, puis en 2001 au Centre Pompidou, et récemment avec la Cinémathèque française.
On retient de lui une filmographie désordonnée, atypique, qui célèbre la liberté et l’esprit d’aventure. « La seule chose qui aille droit dans ce cinéma, c’est la vigueur toujours intacte de ses flèches libertaires et radieuses, qui continuent à nous toucher en plein cœur », publie dans son hommage le compte Twitter de la Cinémathèque, citant le texte écrit par Joachim Lepastier pour la rétrospective de 2021.
Le Monde loue « le magnétisme » de l’œuvre de « ce grand rêveur ». Celui que Télérama nomme « l’Insulaire du cinéma français » finit expulsé de son logement en juillet 2021, malgré la mobilisation de ses soutiens sur les réseaux sociaux. Se rêvant marin, Jacques Rozier a mené sa barque tout au long de sa carrière, entre succès et effacement. Il s’est éteint à l’hôpital dans la nuit du 2 juin 2023.
Aésane Geeraert
« Des cinéastes de la Nouvelle Vague, Rozier est celui qui divague. Celui qui aime que tout aille de travers, pour mieux alimenter son sens très particulier de la dramaturgie : entrelacer l’art du chassé-croisé avec les itinéraires obliques de la course au trésor…. 1/2 pic.twitter.com/mMH15VWjr4
— La Cinémathèque (@cinemathequefr) June 3, 2023