William Friedkin, génie sombre du Nouvel Hollywood

Publié par CineChronicle le 9 août 2023
William Friedkin

William Friedkin

L’immense réalisateur de l’Exorciste et de French Connexion s’en est allé, laissant derrière lui une filmographie d’une richesse insondable, loin d’avoir encore livré tous ses secrets.

 

 

 

William Friedkin

William Friedkin sur le tournage de L’Exorciste / Credit © 1973 Warner Brothers, Inc.

Réalisateur visionnaire, maître de l’horreur, cinéaste polémique, père de L’Exorciste… Autant d’appellations qui ont collé à la peau de William Friedkin, disparu ce mardi 7 août à l’âge de 87 ans.

 

Pourtant, l’homme est tout d’abord le fils unique d’une modeste famille d’immigrants juifs ukrainiens ayant fui les pogroms du début du XXe siècle. Loin de toutes considérations artistiques, l’enfant grandit à New York dans un milieu prolétaire précaire et tombe dans la petite délinquance.

 

De ce passé peu reluisant, Friedkin garde une indéfectible fascination pour le mal qui traverse son œuvre. Il fait ses premières armes sur le petit écran. Agé d’à peine 18 ans, il tourne des centaines (voire des milliers) d’émissions de télé en tous genres ; de petits reportages à des captations de concerts, en passant par de petits documentaires. Ces derniers ont une importance déterminante sur sa carrière future, souvent marquée par le sceau du réalisme et de l’immersion.

 

Gene Hackman et Roy Scheider - French Connection

Gene Hackman et Roy Scheider – French Connection de William Friedkin (1971)

 

Enfant terrible du Nouvel Hollywood

 

Les débuts de William Friedkin sur grand écran s’éloignent pourtant du documentaire, signant deux comédies musicales et une adaptation de pièce de théâtre. Quatre films, tous plutôt confidentiels, qui ne font que paver la voie pour la véritable naissance du cinéaste en 1971, avec French Connection. Si le film s’inscrit directement dans le succès commercial de Bullitt de Peter Yates, sorti trois ans plus tôt, Friedkin n’a d’yeux que pour le néoréalisme italien, la Nouvelle vague française et surtout l’œuvre d’Orson Welles. Comme ses idoles, il a pour ambition d’imposer un nouveau langage cinématographique et de s’affranchir des codes étriqués du film de studio.

 

Profitant d’un budget réduit et donc d’une grande liberté créative, il adopte un filmage plus sec et réaliste, sa caméra donne l’impression de capter des instants volés. Les scènes d’action, plus particulièrement la mémorable scène de course-poursuite en voiture et métro aérien n’en deviennent que plus intenses. Tout aussi important, le réalisateur introduit ici le thème central qui parcourt le reste de son œuvre, la fine frontière entre le bien et le mal. Le détective Popeye Doyle (Gene Hackman) est ainsi représenté comme un personnage irascible, aux méthodes plus que douteuses, qui n’hésite pas à abattre froidement ses ennemis, quitte à leur tirer dans le dos. Là où le cinéma policier se devait de prendre partie pour le flic ou le criminel, French Connection les renvoie dos à dos, sans pour autant les juger.

 

Documentaire LExorciste selon William Friedkin

Linda Blair et William Friedkin sur le tournage de L’Exorciste (1973) – Documentaire L’Exorciste selon William Friedkin (Leap of Faith) d’Alexandre O. Philippe (2021)

 

Triomphe critique et public, qui permet notamment à Friedkin de rafler l’Oscar du meilleur réalisateur, French Connection lui offre surtout une position de force qu’il va grandement exploiter sur son projet suivant. Tout a été dit sur L’Exorciste, sa genèse houleuse, son tournage supposément maudit, son montage conflictuel et finalement son immense succès planétaire. Pourtant, le film « le plus effrayant de tous les temps » n’a pas fini de livrer tous ses secrets. La genèse, le tournage et le montage sont animés en coulisse par une lutte de visions. D’un côté, l’auteur du livre originel, William Peter Blatty, fervent catholique, veut faire passer un message de foi et d’espoir. De l’autre, William Friedkin, juif agnostique, souhaite au contraire que les spectateurs tirent eux-mêmes leurs propres conclusions.

 

En résulte cette œuvre folle et insaisissable, véritable révolution dans l’épouvante, et qui fait passer le genre tout entier dans une nouvelle ère. George Romero, avec La Nuit des morts-vivants, et Roman Polanski, avec Rosemary’s Baby, avaient déjà entamé la mue du film d’horreur vers la modernité. Friedkin va encore plus loin. L’épouvante gothique classique est révolue, désormais l’horreur se fait urbaine et contemporaine, pour mieux sonder la noirceur de l’âme humaine.

 

Sorcerer

Sorcerer de William Friedkin (1977)

 

Les années 80 : Entre grandeur et décadence

 

Grâce au carton historique de L’Exorciste, William Friedkin rejoint les Francis Ford Coppola, Robert Altman et Michael Cimino, parmi les auteurs les plus prometteurs du Nouvel Hollywood. Il obtient également au passage la possibilité de concrétiser son projet rêvé, un remake du Salaire de la peur d’Henri George Clouzot. Le projet Sorcerer est sur les rails. Mais à l’arrivée, le démiurge Friedkin va se heurter de plein fouet aux années 80, en même temps qu’agonisent les auteurs des seventies.

 

Trois ans avant l’échec de La Porte du Paradis de Michael Cimino, dernier clou dans le cercueil du Nouvel Hollywood, Sorcerer est boudé par la critique et totalement ignoré par le public qui lui préfère Star Wars, sorti une semaine avant. Trop sombre, trop complexe, trop libre, ce chef-d’œuvre maudit sombre dans les limbes du Septième Art avant d’en être enfin exhumé dans le courant des années 2010. Sorcerer occupe désormais la place qui lui est due, celle d’un monument visionnaire qui n’a rien à envier à Apocalypse Now.

 

Al Pacino - Cruising

Al Pacino – Cruising (La Chasse) de William Friedkin (1980)

 

Mais l’échec de ce film, si cher au cœur de Friedkin (qui le cite plus tard comme son meilleur), marque un premier coup dur pour lui. La suite de sa carrière s’en ressent profondément. La comédie Têtes vides cherchent coffres pleins, sortie un an plus tard, est une œuvre de mercenaire qui s’éloigne volontairement du style friedkinien. Remplaçant au pied levé John Frankenheimer, le réalisateur de L’Exorciste tente le registre de la comédie, sans grand succès. Malgré la présence du fidèle Wallon Greene au scénario, Têtes vides cherchent coffres pleins est une œuvre assez quelconque d’un artiste blessé qui tente de se remettre de ses plaies.

 

La convalescence ne dure pas. Alors que les années 80 commencent véritablement, William Friedkin se lance dans son projet le plus sulfureux avec Cruising (La Chasse en France). Cette traque d’un tueur en série dans le milieu gay BDSM est l’occasion pour lui de se replonger corps et âme dans sa fascination pour le mal. Le jeune inspecteur infiltré (Al Pacino) perd ainsi pied dans ses longues errances nocturnes dans les clubs gays de la ville, au point de commencer à douter de sa propre nature, voire de sa morale puisqu’il pourrait bien lui-même être l’auteur de certains des meurtres qu’il tente de résoudre.

 

Police Federale Los Angeles

William Petersen РPolice f̩d̩rale, Los Angeles de William Friedkin (1985)

 

Plus encore que Sorcerer, Cruising marque la véritable rupture de Friedkin avec ses contemporains. Le comité de censure condamne le film à un infamant classement X, que le cinéaste parvient à éviter au prix de 40 minutes de coupe, et les associations LGBT s’insurgent contre le film, qu’elles accusent de donner une image faussée et limitée de leur communauté. Pourtant ,Cruising est un film richement documenté qui ne juge jamais les marginaux qu’il filme.

 

Ce nouvel échec critique et commercial aurait dû lui être fatal, mais cinq ans plus tard, il accouche d’un ultime chef-d’œuvre. Poussant à leur paroxysme ces histoires de flics à la morale grise et de truands sans pitié, il signe avec Police fédérale, Los Angeles le polar le plus influent des années 80. Mêlant sa caméra documentaire à un éclairage tout en néons colorés, Friedkin plonge le spectateur dans une version cauchemardesque et hallucinée de Deux Flics à Miami. Peut-être l’œuvre la plus influente du réalisateur juste après L’Exorciste, Police fédérale, Los Angeles servira de matrice à toutes les séries policières des années 2000, Les Experts en tête.

 

Tommy Lee Jones et Samuel L Jackson - Lenfer du Devoir

Tommy Lee Jones et Samuel L. Jackson – L’Enfer du Devoir de William Friedkin (2000)

 

Cinéma vérité et théâtre filmé

 

Les années 90 ont beau marqué une période de déclin artistique pour le cinéaste, il n’est pas pour autant un objet du passé. Là où ses confrères du Nouvel Hollywood, de Michael Cimino à Peter Bogdanovich, peinent à monter des projets ou se condamnent à n’être que l’ombre d’eux-mêmes, le réalisateur new-yorkais parvient à se réinventer. Les années 2000 marquent ainsi le début d’une nouvelle évolution de son style qui s’amorce avec le controversé L’Enfer du devoir. Souvent conspué pour son aspect patriote et belliqueux, le film est aussi un véritable pivot stylistique dans son œuvre.

 

Si les quelques scènes d’affrontements sont filmées sur le vif dans la plus pure tradition friedkinienne, l’essentiel du récit prend place dans une salle d’audience. Tout ce que le film nous montre comme acquis et authentique est désormais questionné lors de ces scènes de procès théâtrales. Toute aussi réaliste soit-elle, une mise en scène ne reste qu’un point de vue fatalement subjectif. Si les premières réactions de spectateurs poussent Friedkin à rendre son récit moins ambigüe et donc moins intéressant, le reste de sa filmographie embrasse pleinement cette nouvelle dimension théâtrale.

 

Matthew McConaughey - Killer Joe

Matthew McConaughey – Killer Joe de William Friedkin (2011)

 

Bug et Killer Joe, ses deux derniers longs-métrages sortis en 2006 et 2011, adaptent ainsi tous deux des pièces du dramaturge, scénariste et acteur Tracy Letts, et laissent cette fois le spectateur en tant qu’observateur de la scène. C’est d’autant plus vrai dans Killer Joe, qui joue avec son cadre et avec son public en traitant avec une distance comique les pires atrocités possibles. Pour ceux qui acceptent cette plongée dans les tréfonds les plus noirs de l’âme humaine, nulle doute qu’ils en ressortent aussi hilares que désabusés. Car avec Killer Joe, Friedkin réalise enfin une véritable comédie. Ici, la noirceur du propos se marie parfaitement avec la vision mordante du cinéaste, et le spectateur peut enfin rire, tout en se questionnant sur la moralité de son propre rire.

 

Malgré cette filmographie aussi riche que passionnante, Friedkin semblait jeter sur son Å“uvre un regard humble. Que ce soit dans son autobiographie, ou dans le documentaire Leap of Faith consacré à L’Exorciste, le cinéaste parle avec une certaine modestie de son travail accompli, tout en se demandant ce qu’il laissera derrière lui, une fois sa vie terrestre achevée. Car avec le poids des années, l’agnostique affirmé a mis de l’eau dans son vin de messe et s’est petit à petit changé en croyant soucieux de l’héritage qu’il laissera.

 

Son héritage justement semble bien assuré. Malgré sa disparition, William Friedkin reste hautement présent dans les livres et les futures actualités cinématographiques. Que ce soit par un ultime long-métrage, The Caine Mutiny Court-Martial, présenté à la prochaine Mostra de Venise, ou à travers les nouvelles suites de L’Exorciste, son nom devrait encore résonner dans les années à venir. L’homme nous a quittés, mais l’œuvre est éternellement gravée dans l’histoire du Septième Art.

 

Timothée Giret

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