Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson: critique

Publié par Antoine Gaudé le 26 janvier 2016

Synopsis : Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d’un voyage d’affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l’amour de sa vie

 

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Anomalisa - affiche

Anomalisa – affiche

Célèbre pour ses scénarios (Eternel Sunshine of the Spotless Mind, Dans la peau de John Malkovich, Adaptation, Human Nature), Charlie Kaufman l’est moins en tant que réalisateur. Avec seulement deux films à son actif – Synecdoche, New York (2008) et maintenant Anomalisa, coréalisé avec Duke Johnson –, il a fait de chacune de ses réalisations et de ses scénarios des « mini-événements ». À l’instar d’autres cinéastes américains (Spike Jonze, Todd Haynes, Jonathan Glazer), il cultive parfaitement cette image de marginal à l’imagination débordante. Avec Anomalisa, il s’attaque pour la première fois à la stop-motion, et livre une fable existentialiste dérangeante, empreinte d’un pessimisme appuyé. Dans les univers enfermés, souvent des huis clos, du cinéaste, la douce ironie initiale laisse rapidement place à un cynisme ravageur, puis à un pessimisme cinglant. Une déclinaison qui s’inscrit directement dans le comportement psychique, souvent instable, du héros, et se concentre dans des lieux d’enfermement réels (avion, taxi, hôtel, chambre, foyer familial) et parfois mentaux (subconscient). Sa critique du système disciplinaire régi par ces fameux lieux, et donc d’un certain mode de vie à l’occidentale, nourrit sa fable, et lui donne son charme ornemental ; toutes ces allégories et autres symboles viennent agrémenter des élans comiques et oniriques généralement savoureux.

 

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Lorsqu’on découvre Michael Stone (David Thewlis), la cinquantaine, assis dans cet avion, on comprend rapidement qu’il méprise les gens et déteste sa vie ; c’est l’archétype du vieux cynique. Limite dépressif – il prend des médocs, fume et boit toute la journée –, Stone porte en lui les travers de cette société qui a fini par lui pomper toute son énergie. Célèbre pour avoir écrit un bouquin sur le « service clientèle » – qui fait gagner 90% de productivité à chaque entreprise ! –, il participe pleinement à l’expansion de cette société d’assistés, obséquieuse, incapable de réfléchir par soi-même et sur soi-même. Mais son cynisme, son caractère austère, voire dédaigneux à l’égard des choses matérialistes tels que le zoo ou le chili de Cincinnati, le rend néanmoins différent des autres (son visage conserve sa singularité) et lui permet de ne pas rentrer dans le « moule » de tous ces clones, et d’aspirer à autre chose, et pourquoi pas quelque chose de sublime.

 

Alors que l’on pouvait s’attendre à un changement d’attitude lors de sa rencontre avec « l’anomalie » Lisa (Jennifer Jason Leigh), qui conserve également la féminité de sa voix et une singulière cicatrice sur le visage, il n’en est finalement rien. Car dans un monde aussi déshumanisé, tout se consomme rapidement, y compris les sentiments. La vérité du lendemain n’est jamais celle de la veille. Si vivante, si douce et si belle le soir, « AnomaLisa », une fois consommée, perd toute sa fraîcheur atypique au petit matin. Éternel insatisfait, Stone est finalement ramené à cette réalité morose, où tout le monde a la même tête et, la même voix masculine (Tom Noonan). Et bien qu’il soit en quête de sens, et qu’il se pose les bonnes questions, personne n’est en mesure de lui donner satisfaction. La résignation devient son leitmotiv.

 

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Cette nuit à l’hôtel Fregoli – comme le syndrome du même nom, sorte de paranoïa qui donne le sentiment d’être persécuté par une seule et même personne que l’on s’imagine changeant d’apparence –, n’a véritablement eu aucun effet sur sa vie, mais a néanmoins laissé apparaître la déformation psychique dans laquelle il se trouve. La scénographie, très théâtrale, prend alors toute sa puissance évocatrice dans ce jeu labyrinthique entre portes, ascenseurs et couloirs qui s’instaurent dans cet hôtel. Comme le héros, on y perdrait presque la raison. Les deux cinéastes n’hésitent d’ailleurs pas à jouer entre la réalité et le rêve, ou plutôt le cauchemar, pour signifier l’angoisse et le refoulement qui consument littéralement Stone. De ce point de vue, la mise en scène en stop-motion est brillante. Il y a d’ailleurs quelque chose de magnifique dans cette mise à nu des corps, en particulier ceux de Stone et Lisa ; ils sont montrés sans artifice, sans voile, ce qui les rend fragiles et terriblement humains. Kaufman et Johnson réalisent à ce titre une scène de sexe absolument remarquable, tant ils parviennent à exalter le nœud intime de cette relation unique et pourtant éphémère.

 

Mais être existentialiste ne signifie pas forcément être pessimiste. Bien au contraire, ce sentiment doit être dépassé, ce qu’est incapable de faire la pensée marxiste de Kaufman. Cela rend d’ailleurs la critique d’Anomalisa inoffensive. Abattu (ou trop discipliné), Stone finit par rejoindre sa femme et son fils dans sa propre prison mentale, figurée par la maison familiale. Une fin plus ouverte, plus optimiste aussi, montrant Stone en proie à un projet de révolte et de liberté, aurait sans doute donné plus de ferveur, et moins de mépris, à cette fable existentialiste. Car c’est encore l’homme qui crée son existence en se choisissant. Et si « l’homme est condamné à être libre » (Sartre), il doit également être capable de s’insurger contre une situation qui lui semble insurmontable…

 

Antoine Gaudé

 

 

 

  • ANOMALISA réalisé par Charlie Kaufman et Duke Johnson en salles le 3 février 2016.
  • Avec les voix de : David Thewlis, Jennifer Jason Leigh, Tom Nooman.
  • Scénario : Charlie Kaufman
  • Production : Duke Johnson, Charlie Kaufman, Dino Stamatopoulos, Rosa Tran
  • Photographie : Joe Passarelli
  • Montage : Garret Elkins
  • Direction Artistique : John Joyce
  • Décors : John Joyce, Huy Vu
  • Costumes : Susan Donym
  • Effets Spéciaux : Derek Smith
  • Animation personnages : Dan Driscoll
  • Musique : Carter Burwell
  • Distribution : Paramount Pictures
  • Durée : 1h30

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