Le Menu de Mark Mylod : critique

Publié par CineChronicle le 25 novembre 2022

Synopsis : Un couple se rend sur une île isolée pour dîner dans un des restaurants les plus en vogue du moment, en compagnie d’autres invités triés sur le volet. Le savoureux menu concocté par le chef va leur réserver des surprises aussi étonnantes que radicales…

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Le Menu - affiche

Le Menu – affiche

Un groupe d’élites fortunées traverse un bras de mer à bord d’une petite embarcation, jusqu’à une île privée, coupée du monde, sur laquelle le réputé chef Slowik a ouvert un restaurant d’exception. Dès les premières minutes, Le Menu rassemble les ingrédients traditionnels d’un début de film d’horreur : une poignée de personnages criblés de vices, un ailleurs isolé et quasi sauvage où seul le vieux manoir du maître des lieux cohabite avec la salle de réception ultra-moderne. La musique, qui oscille entre mélodie enchanteresse et mélopée angoissante, invite à la méfiance dès l’arrivée sur l’île. Aux troncs morts qui parsèment la plage, répond le fourmillement des crabes et autres crustacés qui se nourrissent dans son sol. Présentée par inserts, à hauteur du microcosme, l’île se donne comme un écosystème autonome qui happe les personnages et les condamne aussitôt à demeurer partie d’elle. À l’image de la cadence militaire et de l’organisation symétrique qui se déploient en cuisine, autour du chef Slowik, le scénario du Menu suit strictement la carte que le film nous déroule, plat par plat. L’amuse-bouche est l’occasion de présenter les différents personnages, leurs dynamiques et leur rapport à la gastronomie dont ils sont venus faire l’expérience. Leur rapport à l’art, en vérité, puisque c’est bien du créateur, de la création et sa réception dont il est ici question. Le public de cinéma lui-même se retrouve explicitement convié à l’expérience, que ce soit par l’affichage lettré et le détail des plats, stylisés à la façon d’une véritable carte, ou par les natures mortes qu’offrent les diverses assiettes, entièrement vouée à susciter l’appétit par le plaisir des yeux.

 

Slowik Ralph Fiennes - Le Menu de Mark Mylod

Slowik (Ralph Fiennes) – Le Menu de Mark Mylod

 

L’art culinaire convoque tous les sens et se fait le relais de tous les autres arts. Le premier plat se présente ainsi comme un tableau réaliste de la nature ambiante, dont il figure les rochers, la mer et les algues. Il exprime l’ambition de l’artiste de copier le réel. Le personnage de la critique le trouve d’ailleurs « presque abouti » , façon de signifier que ladite ambition demeure inaccessible. Le second plat la contredit d’ailleurs, en reprenant avec beaucoup d’ironie les codes absurdes et subversifs d’un art contemporain plus abstrait. Le chef propose à ses clients un « pain sans pain », soit une palette d’accompagnements qu’aucun ne sait comment saucer. Les réactions des personnages face à ceux plats sont celles des spectateurs déconcertés d’un tableau blanc : d’abord on s’amuse de l’audace de l’artiste, puis l’assemblée se divisent entre ceux qui trouvent la proposition intéressante, voire géniale, et ceux qui se sentent dupés, abusés.

 

Les arts visuels ne sont pas les seuls auquel Le Menu fait honneur. En cuisine, Slowik fait office de chef d’orchestre. La pièce vibre d’ailleurs aux bruits de la cuisine ouverte et des claquements de mains solennels par lesquels le maître de cérémonie réclame le silence des clients. Comme au théâtre, au cinéma ou au spectacle, on invite sans cesse ces derniers à regagner leur place. La soirée, mainte fois qualifiée de « théâtrale » par la critique, se mue d’ailleurs en une série de performances de plus en plus extrêmes. En ce sens, le film de Mark Mylod rappelle un peu l’ovni The Square du Suédois Ruben Östlund.

 

Les riches convives incarnent, à leur façon, différents amateurs d’art. La critique culinaire et son éditeur portent sur les créations un regard que le jugement professionnel a dénué de toute subjectivité et de toute émotivité. L’acteur de série B et son agent étalent des connaissances qu’ils prétendent maîtriser, mais leur rapport à l’art se limite au plaisir immédiat, débarrassé de tout recul intellectuel, comme le souligne l’acteur en parlant de son propre travail : « C’était un mauvais film, mais un tournage amusant. » Le vieux couple d’habitués incarnent pour leur part des sortes de collectionneurs compulsifs, qui reviennent sans cesse découvrir de nouvelles œuvres mais sont bien incapable d’en reconnaître ou d’en citer une.

 

Premier plat - Le Menu de Mark Mylod

Premier plat – Le Menu de Mark Mylod

 

La bande des trois cadres parvenus représente quant à elle l’amateur qui consomme l’art et qui en veut pour son argent. Dans un coin de la salle, la mère du chef Slowik constitue une figure familiale présente, pourtant incapable de comprendre l’art et la passion de son fils : elle boit mais ne mange pas. Chacun de ces spectateurs types entretient un rapport distant à l’art, soit en ne considérant pas le travail et les intentions de l’artiste, soit en refusant de s’investir émotionnellement dans l’œuvre. Le troisième plat force donc leur rapport personnel et frontal à la création en les prenant pour sujet des tortillas imprimées.

 

Le couple principal se distingue légèrement du reste de l’assemblée par le recul qu’ils prennent et les désaccords dont ils débattent. Tyler, le passionné de cuisine, fait figure de bon élève et explique à sa compagne les procédés de fabrication, les messages distillés par Slowik dans ses plats. Il analyse l’œuvre culinaire comme structure de sens, en dégage des concepts et s’en émeut aux larmes. Margot, elle, admet ne rien connaître à la gastronomie. Avide de découverte, elle rejette peu à peu certains plats qui lui déplaisent. Elle ne néglige pas les intentions et le talent du chef, mais le seul fait de les considérer ne signifie pas qu’elle y adhère.

 

Anya Taylor-Joy - Le Menu de Mark Mylod

Anya Taylor-Joy – Le Menu de Mark Mylod

 

Le personnage de Margot, incarné avec beaucoup de subtilité par Anya Taylor-Joy, personnifie le spectateur qui discute l’œuvre et avec l’œuvre. Elle est d’ailleurs la seule avec qui le chef Slowik engage la conversation. Comme lui, Margot est issue d’un milieu modeste et au service de riches clients qui négligent son intégrité. Elle seule comprend que, par souci constant de satisfaire ses convives, Slowik a cessé de créer par passion.

 

D’un plat à l’autre, Le Menu vient bousculer son public, l’interroger sur ses attentes, sur la façon dont il consomme l’art et dont il considère l’artiste. Il dresse en même temps une satire sociale caustique de l’élite qui régit les sphères de la création et impose ses critères de qualité. Il s’ancre dans une actualité bouillante en évoquant des pressions économiques dues à la crise du covid ou le mouvement MeToo, décliné en un plat au nom éloquent de « Virilité malsaine ». Le propos est déjà-vu, rappelle parfois Nope de Jordan Peele ou Old de Shyamalan, et l’issue prévisible. Cependant, la maîtrise du langage visuel et le jusqu’au-boutisme du Menu ne manquent pas de fasciner.

 

Plus psychologique qu’horrifique, le long-métrage de Mark Mylod n’en n’est pas moins sanglant. À mesure que la tension monte, au rythme effréné des cordes frottées, les corps des personnages-spectateurs deviennent, non plus seulement les sujets, mais aussi la matière même des créations du chef. En nous éclaboussant d’hémoglobine, crûment et sans prévenir, Le Menu nous invite à réagir, à rire de l’excès et du sarcasme, à grimacer face à la mutilation. À participer, en bref, à l’inverse des archétypes passifs que le film condamne.

 

Aésane Geeraert

 

 

 

  • LE MENU (The Menu)
  • Sortie salles : depuis le 22 novembre 2022
  • Réalisation : Mark Mylod
  • Avec : Anya Taylor-Joy, Ralph Fiennes, Nicholas Hoult, Hong Chau, Janet Mc Teer, Reed Birney, Judith Light, Paul Adelstein, Aimee Carrero, Arturo Castro, Rob Yang, Mark St. Cyr, John Leguizamo, Christina Brucato, Adam Aalderks, Rebecca Koon, Peter Grosz, Brandon Herron…
  • Scénario : Seth Reiss, Will Tracy
  • Production : Adam McKay, Betsy Koch, Will Ferrell, Katie Goodson, Dam Tram Nguyen, Zahra Phillips
  • Photographie : Peter Deming
  • Montage : Christopher Tellefsen
  • Décors : Ethan Tobman
  • Costumes : Amy Wastcott
  • Musique : Colin Stetson
  • Distribution : The Walt Disney Company France
  • Durée : 1 h 48

 

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