Synopsis : Branché sur les fréquences radios de la police, Lou parcourt Los Angeles la nuit à la recherche d’images choc qu’il vend à prix d’or aux chaînes de TV locales. La course au spectaculaire n’aura aucune limite…
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C’est aujourd’hui au tour de Dan Gilroy de passer derrière la caméra après son frère, Tony, qui en est à sa troisième réalisation depuis JASON BOURNE : L’HÉRITAGE (notre critique) issu de la franchise qu’il a également scénarisé. Car ils sont trois frères dans la famille Gilroy. Si Tony est attaché ici à la production, le troisième, John, jumeau de Dan, agit aussi en tant que monteur. Nightcrawler, titré français par Night Call rappelant autant le morceau de Kavinsky que l’esthétisme de DRIVE de Refn (notre critique), est une puissante mise en abyme des médias américains sur le pouvoir de l’image et son impact dans les journaux télévisés, avec en toile du fond ce cri étouffé du chômage et de la crise économique. Explosif, puissant, effréné, déterminé, Night Call est un véritable drame uppercut qui n’est pas sans rappeler la satire acerbe Network, main basse sur la télévision de Sidney Lumet (1976). Mais ici vrombissent les moteurs dans les rues d’un Los Angeles crépusculaire en perte de vitesse. Scénariste de Two for the Money, The Fall ou encore de Real Steel, Dan Gilroy montre ici ce qu’il a dans le ventre et dresse une peinture macabre de la société néocapitaliste de plus en plus amorale et déshumanisée. Il impose avec brio sa verve cynique, son atmosphère glaçante, son propos tranchant et sa mise en scène nerveuse, certainement bien plus affutée que celle de son frère. Il se présente dès lors comme un cinéaste furieux de l’instantané avec un propos aussi engageant que terrifiant, à différents niveaux de lecture.
Mais toute la force et le plus effrayant dans Night Call, qui figure parmi les meilleures surprises de 2014, c’est bien Jake Gyllenhaal avec son regard perçant de doux-dingue résolu et ses dix kilos en moins, pour lequel on éprouve une irrépressible fascination. Totalement transformée et hantée par son personnage, la star hollywoodienne de 34 ans, bien parée pour les Oscars, continue de se forger une carrière de premiers choix après SOURCE CODE (notre critique), PRISONERS (notre critique), End of Watch ou encore ENEMY (notre critique). A la fois attirant et terrifiant, il devient l’incarnation de l’anti-héros opportuniste, amoral et sociopathe dans la peau de ce Lou Bloom au chômage, sorte de pendant scorsesien de Travis Bickle dans Taxi Driver, mais au dénouement plus lumineux, qui se heurte au monde underground du journalisme indépendant. Car cet homme est finalement un individu lambda, parmi tant d’autres âmes perdues à la recherche désespérée d’un emploi, dans cette société contemporaine qui creuse son sillon. Un sillon dans lequel cet autodidacte, frondeur et observateur, va pourtant trouver sa vocation sur les chemins sinueux de la criminalité, des catastrophes et de la misère humaine.
Après plusieurs refus successifs de jobs en tout genre, il parvient enfin à entrevoir sa planche de salut en prenant exemple sur ces cameramen nocturnes avides de faits divers, représentés par Bill Paxton, au cœur de cette Cité des Anges, terrain de jeu funeste idéal. Il se lance dès lors dans une quête effrénée du scoop au volant de sa voiture, connecté non-stop à son récepteur de fréquences policières, pour couvrir avec sa petite caméra, arme de poing redoutable, toutes les scènes de crimes (accidents, incendies, meurtres…). Sirènes hurlantes et victimes deviennent pour lui une véritable manne financière, notamment avec la collaboration d’une productrice influente d’une chaîne de télévision locale, prête à tout pour s’imposer et garder son travail, attisant cette soif de réussite, de gloire, de pouvoir et de célébrité. René Russo – épouse de Dan Gilroy dans la vraie vie – est resplendissante et certainement tout aussi rapace et dévorée par le sensationnel que Faye Dunaway dans Network, mais dont on perçoit toutefois quelques grammes de sensibilité. Ce duo, qui fonctionne à merveille à l’écran, va se délecter allègrement de toute cette tragédie humaine.
Dan Gilroy brosse ainsi le portrait acide d’un nouveau déterminisme et jusqu’au-boutisme, dénué de tout sentiment dans cette quête du rêve américain, galvanisant les règles du système. Ainsi, en mettant en pratique sa conception du travail, à laquelle il croit depuis le départ, tout en surexploitant impudemment son nouvel assistant (Riz Ahmed), Lou Bloom devient non seulement la vedette de sa propre histoire, dans cette traque incessante de séquences-chocs, mais aussi le fruit de cette société intoxiquée. L’autre personnage fondamental est bien sûr ce Los Angeles vespéral capturé par la photographie d’une beauté brillante et malsaine de Robert Elswit (There will be Blood), qui se mêle avec brio à la bande son menaçante omniprésente de James Newton Howard. Dan Gilroy signe une allégorie sociétale parfaitement ancrée dans notre époque, à l’instar de GONE GIRL de David Fincher (notre critique) qui réexamine de son côté la relation de couple dans l’Amérique du XXIe siècle. Il donne une nouvelle approche du journalisme moderne dans son traitement de l’actualité chaude sur papier glacé. Night Call met ainsi brillamment en exergue la folie des médias, qui ne reculent désormais plus dans la divulgation de leurs images crues et sordides, et la manière dont la société transforme les individus en encourageant cette aliénation avec les retombées du chômage.
- NIGHT CALL (Nightcrawler) écrit et réalisé par Dan Gilroy en salles le 26 Novembre 2014.
- Avec : Jake Gyllenhaal, Bill Paxton, Rene Russo, Ann Cusack, Riz Ahmed, Kevin Rahm, Jonny Coyne, Jamie McShane, Eric Lange, Anne McDaniels, Kathleen York, Michael Hyatt, Viviana Chavez…
- Production : Jake Gyllenhaal, Tony Gilroy, Jennifer Fox, Michel Litvak, David Lancaster
- Photographie : Robert Elswit
- Décors : Kevin Kavanaugh
- Costumes : Amy Westcott
- Montage : John Gilroy
- Musique : James Newton Howard
- Distribution : Paramount
- Durée : 1h57