Concert ensorcelant de Jóhann Jóhannsson à Amsterdam

Publié par Jérôme Nicod le 11 décembre 2016
Johann Johannsson Tour

Johann Johannsson Tour – Orphée

Jóhann Jóhannsson, compositeur islandais multi-récompensé pour la musique d’Une Merveilleuse Histoire du Temps, a joué le 4 décembre dernier à Amsterdam, sur la scène du mythique Paradiso, un concert sensoriel et cosmique, aux frontières du réel. Un moment hors du temps et de l’espace.

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Orphee - Johann Johannsson Tour

Orphée – Johann Johannsson Tour

Les cinéphiles connaissent Jóhann Jóhannsson pour sa fidèle collaboration avec Denis Villeneuve (Prisoners, Sicario, Premier Contact et prochainement Blade Runner 2049. Mais c’est paradoxalement Une Merveilleuse Histoire du Temps de James Marsh, qui lui permet d’atteindre sa renommée mondiale, avec un Golden Globe et le prix très corporate de l’ASCAP, la SACEM américaine.

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Jóhannsson possède un univers musical très particulier, électronique, organique, parfait pour le style visuel de Denis Villeneuve, dont la mise en scène, sèche et dépouillée, ne recherche pas d’effet et se contente de raconter des histoires fortes, au rythme lent. La partition du compositeur donne au film sa teneur en stress ; elle maintient captif le spectateur en l’absence de densité narrative. Ils sont d’une superbe complémentarité, qui donne d’autant plus d’impatience à découvrir la suite du mythique Blade Runner.

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Avant de travailler pour le cinéma, Jóhann Jóhannsson a débuté sur scène en Islande avec le groupe Apparat Organ Quartet, dont il est le fondateur. Il a composé huit albums, dont le dernier, Orphée, à fait l’unanimité critique dès sa sortie en septembre dernier et sert de support à la tournée du compositeur, dont au Paradiso à Amstderdam. Orphée n’est pas un album ordinaire, en cela, il ressemble à son auteur. Une partition de quatorze morceaux assez dépouillés, servis avec simplicité, mais dont la profondeur sensorielle permet une immédiate projection vers des univers cinématographiques. Cette sensation est encore plus réelle pour ceux qui auront la chance de le vivre dans une salle de concert. Il y a une mélancolie, une distance, une beauté noire qui place l’apparente simplicité narrative du propos à un niveau fantastique, cosmique, avec quelques fulgurances horrifiques. Sur scène, Jóhannsson est au service de son oeuvre, il ne semble pas la diriger, il fait partie intégrante des sept interprètes.

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UN UNIVERS ÉVOQUANT FRITZ LANG, DAVID LYNCH, MICA LEVI

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Une merveilleuse histoire du temps - musique Johann Johannsson

Une merveilleuse histoire du temps – musique Johann Johannsson

La mort, la renaissance, la nature éphémère de la mémoire sont autant de thèmes empruntés à la mythologie grecque des Argonautes. La scène est dans l’ombre, une gigantesque antenne radio est projetée sur le fond de scène. Elle semble sortie du logo RKO Pictures qui émettait des ondes dans les films des années quarante. On entend, pendant de très longues minutes, le début parlé de A Song for Europa. Une suite de nombres, de lettres et de mots codés, à l’image des énigmatiques stations de nombres de la Guerre Froide. Le noir et blanc de la pellicule tremblotante, abimée, projette le spectateur vers un univers à la Fritz Lang, revu par David Lynch. La version jouée est une extension, mise en scène de l’album, qui ne dure que 43 minutes, pour un show de près d’une heure trente. La mélodie prend le pas sur la voix, elle prend au corps, elle s’insinue jusque dans l’âme des spectateurs, telle une entité qui engloutit peu à peu toute chaleur humaine.

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Jóhann Jóhannsson réussit le pari fou de résumer et de transporter bien plus loin encore, l’éblouissant Under The Skin de Jonathan Glazer (2013). La musique noire engloutit la salle, à l’image de l’entité jouée par Scarlett Johanson avec ses proies. On trouve des points communs entre la musique de Mica Levi et celle de Jóhann Jóhannsson, mais elles n’ont pas du tout le même objectif : la première cherche à faire peur, à déstabiliser, elle crée le malaise ; la seconde incante le mystère, manipule le rêve éveillée, parfois le cauchemar. Avec Orphée, Jóhannsson est un David Lynch musical, époque Eraserhead (1977). La bande sonore qu’il produit serait le parfait accompagnement pour feuilleter un recueil des lithographies du maître américain, elles-mêmes flottant dans une poésie gluante et souvent monochrome. Ensemble, leur travail convoque, picturalement pour l’un, musicalement pour l’autre, l’oeuvre peinte de Francis Bacon. Il y a un moment absolument terrifiant et génial sur scène, pendant lequel seuls deux flashs de lumière très intense, l’un à gauche l’autre à droite, éclairent tour à tour les musiciens, à un rythme extrêmement rapide. L’oeil ne distingue plus les silhouettes mais seulement leur éclairage alternatif et décalé, créant un mouvement très proche de Bacon. L’illusion d’optique renvoie à de nombreux films d’horreur, lorsqu’en flashback ou en rêve, on découvre à l’écran des fantômes du passé hanter encore les lieux. Jóhannsson propose ainsi sa version de l’enfer.

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La mise en scène est surtout lumineuse, avec la projection d’étoiles, d’un loup, d’autres animaux en pointillés, comme s’ils étaient la synthèse vivante des étoiles qui les ont formés. Jóhann Jóhannsson se prête à l’interprétation en changeant régulièrement les bandes magnétiques d’un vieil ordinateur, tel un savant fou, évoquant ainsi la nature de la mémoire chère au mythe. La mise en scène est aussi dans le cadre, les lieux sont choisis. Ce soir-là, à Amsterdam, c’est le mythique Paradiso qui a été choisi. Une ancienne église, construite il y a 150 ans. À la fois lugubre et baroque, elle accepte un public confidentiel, confiné au sol et réparti sur deux balcons circulaires. On s’est cru spectateur de la fameuse scène de Eyes Wide Shut, dans laquelle le personnage de Tom Cruise se glisse au milieu d’invités masqués. Le malaise est immédiat.

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PREMIER CONTACT, DERNIER MORCEAU

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Premier Contact - musique Johann Johannsson

Premier Contact – musique Johann Johannsson

Jóhann Jóhannsson réussit le tour de force de créer des images mentales sur sa musique, inversant ainsi son travail habituel pour le cinéma. Il est un des compositeurs actuels les plus intéressants. Son dernier travail, Premier Contact (Arrival), est spectaculaire.

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Il parvient à créer une atmosphère sensorielle presque non musicale, une forme de sonorité abstraite, qui convoque de manière absolue l’extraterrestre, cet inconnu. Il articule des sons cohérents mais que nous ne comprenons pas. Il incarne le sujet du film de manière viscérale, peut-être l’album de l’année, résolument plus proche de l’Alien de Jerry Goldsmith que des Rencontres du Troisième Type de John Williams.

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L’ultime morceau, Orphic Hymn, déchaîne ombres et flashes de lumières, découpant la silhouette de Jóhannsson, le bras tendu tel un docteur Mabuse désincarné. Le concert se termine avec la même discrétion qu’il a commencé : une sobriété islandaise. Jóhann Jóhannsson présente ses musiciens, et se contente d’un « Merci d’être venus », avant de retrouver l’ombre des coulisses. Il a livré un spectacle d’une absolue intégrité, un voyage dans l’univers surréaliste ensorcelant dont lui seul à toutes les cartes. On lui retourne d’emblée le compliment : merci d’être venu.

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Jóhann Jóhannsson Tour – Orphée

2016

  1. Flight From The City
  2. A Song For Europa
  3. The Drowned World
  4. A Deal With Chaos
  5. A Pile Of Dust
  6. A Sparrow Alighted Upon Our Shoulder
  7. Fragment I
  8. By The Roes, And By The Hinds Of The Field
  9. The Radiant City
  10. Fragment II
  11. The Burning Mountain
  12. De Luce Et Umbra
  13. Good Morning, Midnight
  14. Good Night, Day
  15. Orphic Hymn

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