Synopsis : Un propriétaire de bijouterie, au sein de Diamond District à New York, et revendeur à ses heures perdues, voit sa vie bouleversée lorsque sa marchandise est volée.
♥♥♥♥♥
Du cœur d’une pierre précieuse et ses nébuleuses de cristaux, au colon du héros, il n’y a qu’un plan. Deux ans après l’éreintant Good Time et son errance nocturne, les frères Safdie reviennent en force avec un opus inclassable et sinueux, porté par Adam Sandler, méconnaissable en joaillier magouilleur obsédé par la gagne. Diffusé sur Netflix et produit par A24, Uncut Gems est un trip fébrile et décousu, qui arpente les facettes de la vie d’Howard Ratner, vendeur de bijoux juif new-yorkais constamment sur le fil du rasoir. En allers-retours entre sa boutique miteuse, sa garçonnière où il loge sa maîtresse et sa famille disloquée, le film se présente comme le casse-tête insoluble d’un homme qui tente de tout gérer, mais n’a de prise sur rien. Une longue lutte s’annonce alors, entre l’insatiable quête du « coup du siècle » – le profit d’une opale rarissime – et les coups du sort que s’inflige le héros, prisonnier de sa propre médiocrité. Le film emprunte à ses modèles, en particulier son producteur Martin Scorsese, avec sa peinture d’un microcosme urbain violent et ses figures marginales. Adam Sandler, camelot à la tchatche logorrhéique, fascine par son jeu généreux et la manière dont il fait vivre ce personnage pacinesque en roue libre. L’ambiance sonore sublime le tout. Les thèmes synthétiques 80’s d’Oneohtrix Point Never, qui avait signé la bande-originale de Good Time, portent en eux la signature musicale de Blade Runner et ses cités futuristes. Hors contexte ici, les notes captivantes agissent comme le révélateur de la magie enfouie au cœur de cette réalité triviale, matériau dont les Safdie font du cinéma.
Mais de même que l’intrigue titube entre différentes parcelles d’existence, Uncut Gems oscille de la grâce à la confusion, du drame à la comédie, de l’irrationnel à la fatalité, si bien qu’on ne sait plus s’il résulte de cet enchevêtrement de combines foireuses du génie ou de l’inconsistance. Sans doute les deux. Car malgré la maîtrise de cette proposition, il est facile de passer à côté. Sa cacophonie continue, et les combats de coqs que se livrent la galerie d’escrocs et de brutes, ont parfois le défaut de rendre la trame illisible, noyée dans un verbiage incessant. Les longueurs, volontaires, cassent le rythme de cette épopée grouillante. Pourtant, la réalisation immersive offre des moments haletants où la tension latente atteint à son comble – en particulier lors du dénouement.
Sa plus belle réussite est de traiter le business de la pierre comme s’il s’agissait d’une drogue. Une addiction puissante s’empare des protagonistes, illustrée par l’attraction que l’opale suscite, et qui dépasse l’entendement. À l’image du récit, tantôt grotesque, tantôt intrigant, cette curieuse lubie tend vers le thriller sans pour autant y faire basculer le film. Cette folie magnétique aurait pu éclore et conférer plus de panache à l’épilogue, qui s’achève sur un trait d’ironie noire prévisible. Paradoxal, brillant, truffé d’aspérités, Uncut Gems fait rayonner son sujet presque comme un joyau brut. Benny et Josh Safdie imposent ici leur griffe et subliment le contre-emploi d’Adam Sandler dans une pépite indé immanquable.
- UNCUT GEMS
- Diffusion : 31 janvier 2020
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Réalisation : Joshua et Ben Safdie
- Avec : Adam Sandler, Eric Bogosian, Lakeith Stanfield, Idina Menzel, Judd Hirsch, Julia Fox, The Weeknd, Kevin Garnett
- Scénario : Ronald Bronstein, Joshua Safdie et Ben Safdie
- Production : Sebastian Bear-McClard, Oscar Boyson et Scott Rudin
- Photographie : Darius Khondji
- Direction artistique : Eric Dean
- Décors : Sam Lisenco
- Costumes : Miyako Bellizzi
- Musique : Oneohtrix Point Never
- Durée : 2h15