Mémoires du Cinéma : Blade Runner de Ridley Scott (1982)

Publié par Philippe Descottes le 31 décembre 2017
Blade Runner - 1982

Blade Runner – 1982

La suite de Denis Villeneuve fut l’un des évènements cinématographiques les plus attendus cette année. L’occasion de revenir sur les origines de Blade Runner de Ridley Scott (1982) dans Mémoires du Cinéma.

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Blade Runner affiche

Blade Runner affiche

Précurseur d’une approche esthétique et visuelle inédite au début des années 80, Blade Runner a su façonner un univers propre qui a bâti sa réputation au fil du temps.

 

Aujourd’hui, il tient une place fondamentale dans l’histoire du cinéma de science-fiction. Il a non seulement eu raison de ses nombreux détracteurs mais est aussi devenu une référence pour bon nombre de films du genre. De Rick Deckard (Harrison Ford) à Rachel (Sean Young) en passant par Roy Batty (Rutger Hauer), Ridley Scott a su créer des personnages tout aussi cultes. 

 

Revenons ainsi sur cette oeuvre emblématique qui nous plongeait en 2019 dans un Los Angeles tentaculaire, cosmopolite et pollué, où la main d’œuvre employée pour l’exploitation était composée de robots, des Replicants, copies-conformes humaines à obsolescence programmée…

 

Du roman au scénario

 

Dès sa parution aux États-Unis en 1968, le roman de l’écrivain de science-fiction Philip K.Dick, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids Dream of Electric Sheep ?), suscite l’intérêt de l’industrie du cinéma. L’auteur a déjà songé à la possibilité d’une adaptation, avec quelques différences par rapport au livre. Il a d’ailleurs un casting en tête avec Gregory Peck pour le personnage de Deckard, Dean Stockwell pour Isidore (J.F. Sebastian) et la chanteuse et actrice Grace Slick pour celui de Rachel. En 1969, Martin Scorsese envisage un temps de l’adapter et rencontre le romancier, mais il renonce faute de financement. En 1972, c’est le producteur indépendant Herb Jaffe qui prend une option sur les droits d’adaptation. Cependant, le scénario écrit par son fils Robert, déplaît à Philip K.Dick. Deux ans plus tard, l’acteur Hampton Fancher se déclare intéressé. Mais Jaffe est toujours détenteur des droits.

 

En 1978, à leur échéance, Fancher et son partenaire, l’acteur et producteur Brian Kelly (Flipper le dauphin) s’en portent acquéreurs. Ils essaient de convaincre le producteur britannique Michael Deeley (Le Convoi et Voyage au bout de l’enfer qui vient juste d’être récompensé par l’Oscar du meilleur film) de s’associer. Celui-ci ne semble pas vouloir s’engager. Hampton Fancher écrit alors un scénario. Le nom de Robert Mulligan (Du silence et des ombres, Un été 42) est avancé pour la réalisation, mais il est rapidement écarté. Recontacté Deeley est cette fois intéressé. Il oriente alors Fancher vers son compatriote Ridley Scott (1979).

 

Ridley Scott et Harrison Ford - tournage Blade Runner

Ridley Scott et Harrison Ford – tournage Blade Runner (BFI)

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Ridley Scott refuse le projet puis se ravise

 

Dans un premier temps, Ridley Scott, qui vient de finir Alien, écarte la proposition, car il n’est pas disponible. En effet, il est déjà sur la préproduction de Dune, d’après le roman de Frank Herbert. Mais la préparation, laborieuse, s’étire en longueur. Un drame familial survient au même moment et va l’amener à revoir sa position. Avec le décès de son frère Frank d’un cancer de la peau, Ridley Scott a besoin de se consacrer et d’enchaîner sur un projet plus dynamique. Il quitte Dune (qui sera réalisé par David Lynch) et rejoint, en février 1980, « Dangerous days » l’un des titres provisoires du film. Au départ, le réalisateur avait écarté ce projet. C’est après une nouvelle lecture du scénario qu’il change radicalement d’avis. Il y décèle notamment un fort potentiel visuel. Autre argument et non des moindres, sa relation avec Michael Deeley. Comme il le connaissait très bien, il savait qu’il pouvait travailler avec lui.


Outre « Dangerous days », avant Blade Runner ( « Celui qui court sur le fil du rasoir »), d’autres titres étaient envisagés, dont « Do Androids Dream of Electric Sheep ? » et « Android ». Pour Ridley Scott « Les Androïdes… » était un titre parfait pour un livre, mais pour un film ça suffisait à le classer dans la catégorie art et essai. Si Blade Runner avait sa préférence, le réalisateur aurait ensuite songé à « Gotham City », mais Bob Kane, le créateur de Batman, refusa de lui vendre les droits. « Blade Runner » est emprunté au livre de William Burroughs publié à New York en 1979, « Blade Runner : a movie », lui-même inspiré du roman de  SF de Alan E. Nourse, « The Bladerunner » (1974).

 

Harrison Ford et Sean Young - Blade Runner

Harrison Ford et Sean Young – Blade Runner

 

La réécriture du scénario et le casting

 

Ridley Scott s’appuie sur le script de Hampton Fancher, mais engage le scénariste et monteur David Webb Peoples. Fancher, en désaccord  avec les modifications qu’on lui demande d’effectuer, se retire le 21 décembre 1980. Pourtant, il revient malgré tout pour réécrire quelques scènes. Philip K.Dick n’a pas aimé le scénario de Fancher. Par contre, il apprécie la nouvelle mouture proposée par David Webb Peoples, qui trouvera par ailleurs le mot « réplicant » qui n’existe pas dans le livre.


Pour autant, l’écrivain ne sera jamais impliqué directement dans la phase de production, pas plus que Scott ne lira son roman semble-t-il. La production est majoritairement assurée par Warner Bros et The Ladd Company, créée par Allan Ladd Jr (Star Wars, Alien) et Michael Deeley. Le budget atteindra les 28 millions de dollars. Pour interpréter Rick Deckard, Scott et les producteurs songent à Dustin Hoffman. Les contacts sont avancés mais l’acteur renonce.


D’autres noms circulent, comme ceux de Peter Falk, Al Pacino, ou Nick Nolte, mais c’est finalement Harrison Ford, recommandé par Steven Spielberg, qui est retenu. Pour le rôle de Roy Batty, le réalisateur engage Rutger Hauer sans l’avoir rencontré, uniquement après avoir vu trois de ses films. Contre l’avis de la directrice de casting, Jane Feinberg, et de l’acteur Morgan Paull, chargé de faire passer des auditions, Ridley Scott impose Sean Young pour interpréter Rachel. Sur le plan technique, les grands moyens sont employés. Dalton Trumbull (2001, Rencontres du troisième type) et le designer de renom Syd Mead sont recrutés. Quant à la bande originale, elle sera composée par Vangelis (Les Chariots de feu).

 

Blade Runner - univers

Blade Runner – univers

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Les décors et le style visuel 

 

Au moment de s’atteler au film, Ridley Scott a déjà réalisé plusieurs centaines de spots publicitaires. Quelques-uns ont été tournés à Hong Kong, qui devient du coup sa ville de référence pour Blade Runner. Il envisage même de tourner sur place mais il doit renoncer car le budget ne le permet pas. Il s’est alors souvenue d’Alphaville, pour lequel Godard avait utilisé des lieux déjà existants. Il les avait rendus futuristes par un simple travail de mise en scène. Une tâche délicate dans le cas présent puisque le réalisateur et son co-scénariste Hampton Fancher avaient en tête une vision bien précise, avec une population particulièrement dense, la juxtaposition d’immeubles ultra-modernes et de minuscules échoppes, ou le clignotement permanent de lumières bleues et vertes… Un univers visuellement très riche, mais qui n’existait nulle part ailleurs sur la planète.


Finalement, c’est en studio, à L.A., que le décor de cette ville a été construit. Il a été détruit par la suite, au grand regret de Ridley Scott. À un moment, il fut question de la baptiser San Angeles, comme si, en 2017, Los Angeles et San Francisco ne faisaient plus qu’une. L’idée ne fut pas du goût de la production qui la rejeta. Le nom a été repris depuis (ndlr : nom de la mégalopole dans Demolition Man de Marco Brambilla – 1994) ! Avec Blade Runner, le cinéaste entendait créer un choc futuriste et ressentir les impressions qui ont été les siennes lorsqu’il a découvert New York pour la première fois. 

 

L’univers de Blade Runner 

 

David Snyder, le directeur artistique, s’est souvenu des propos de Ridley Scott venu voir des décors dont la construction avaient pris beaucoup plus de temps que prévu. Le réalisateur était très satisfait mais pour lui ce n’était qu’un début. Très rapidement, Snyder avait pressenti que le tournage ne serait pas une partie de plaisir et percevait en même temps des désaccords avec les producteurs. Pour Scott et lui, il était clair que dans le futur de leur imagination tout serait brisé, cassé, rouillé, car la plupart des gens seraient ailleurs que sur la Terre. Aussi, dans les décors, rien ne serait neuf, tout serait d’occasion, bricolé, réparé. Avec des tuyaux et des canalisations à n’en plus finir. Des structures 1920, avec des retouches 1950 et des modifications 1999.

 

Syd Mead, dessinateur industriel et concepteur de véhicules pour Ford et Chrysler, qui avait déjà collaboré à Star Trek de Robert Wise (1979), a été embauché comme « futuriste visuel ». Il avait été engagé dans un premier temps pour concevoir des véhicules, Mais il a pour habitude de ne jamais travailler sur des fonds vides, ses créations figurent toujours dans un décor. Sur Blade Runner venaient s’y ajouter des scènes de rue et une architecture, ce qui a plu particulièrement à Ridley Scott. Le co-scénariste Hampton Fancher n’hésita pas à comparer l’univers visuel du film à un gigantesque tableau du peintre flamand de la Renaissance à l’imagination débordante et inspirée, entre autre, par le gothique médiéval, Jérôme Bosch. La vision proposée était à la fois fascinante et repoussante, un paysage gothique dans lequel pourrissaient de vieux immeubles rafistolés avec des techniques modernes.

 

Harrison Ford - Blade Runner

Harrison Ford – Blade Runner

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Tensions et désaccords

 

Après Duellistes et Alien, deux longs métrages « britanniques », Ridley Scott tourne pour la première fois aux États-Unis. Ses exigences et son perfectionnisme vont rendre difficile le tournage qui démarre le 9 mars 1981, et pour dix-sept semaines, aux studios Burbank, au nord de Los Angeles, là même où fut tourné Le Grand sommeil (1946) d’Howard Hawks, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.
Des tensions avec l’équipe technique, américaine en majorité, ne tardent pas à apparaître, amplifiées par des conditions difficiles, travail de nuit, pluie artificielle et froid. Avec la production, il y a un problème de communication. Ainsi, un journaliste venu sur le tournage se souvient avoir interviewé séparément Michael Deeley et Ridley Scott. Le premier évoquait un polar qui ressemblerait plus à « Flash Gordon », alors que le second avait en tête un film d’anti-science-fiction qui se concentrerait plus sur la philosophie que sur les pistolets laser…


Mais des frictions éclatent également entre le réalisateur et Harrison Ford. L’acteur lui reproche à la fois de ne pas assez le diriger et la conception du personnage de Rick Deckard. Il en gardera par la suite un mauvais souvenir. Des accrochages qui marqueront Sean Young. Blade Runner a été une bonne expérience pour elle. Seul point négatif, sa relation avec l’acteur principal qui, sans trop savoir pourquoi, ne lui aurait pas adressé la parole en dehors du tournage. De son côté, Rutger Hauer n’en a retenu que du positif et d’ajouter qu’il s’est rapidement entendu avec le réalisateur.

 

Blade Runner

Blade Runner

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De l’échec au film culte

 

À l’issue des projections tests, l’accueil n’est pas bon. L’intrigue est trop complexe et le film est trop pessimiste. Malgré l’opposition de Ridley Scott, la Warner modifie alors le montage et ajoute une voix-off explicative de Deckard et un happy end. La sortie aux États-Unis a lieu le 25 juin 1982. C’est un échec commercial. Avec des films comme The Thing, Star Trek 2 et E.T. l’extra-terrestre, Blade Runner ne parvient pas à se faire une place. Échec commercial et critique aux États-Unis, le film reçoit malgré tout un bon accueil à l’international. En France, il a attiré plus de 2 millions de spectateurs à partir de sa sortie le 15 septembre 1982. Mais les critiques sont partagées. Philippe Manoeuvre est particulièrement virulent dans Métal Hurlant et titre son article : « C’est Dick qu’on assassine ! ».


Pourtant, peu de temps avant sa mort, l’écrivain rédigea une lettre élogieuse après avoir vu un sujet à la télévision sur les effets spéciaux de Douglas Trumbull. Le film était alors en post-production. Cette première version va néanmoins poursuivre sa carrière grâce à la vidéo qui l’élèvera au statut de film culte. En 1991, un employé des archives de la Warner envoie accidentellement à un festival une copie de Blade Runner différente de celle exploitée dans les salles. Devant l’accueil enthousiaste du public le studio décide d’exploiter cette nouvelle version dans les salles après avoir obtenu l’accord et l’aide de Ridley Scott. Ce Director’s cut sort aux États-Unis le 11 septembre 1992 et sera un succès. Dix ans auparavant, le public n’était probablement pas près à accepter une vision du futur aussi pessimiste. En octobre 2007, les 25 ans de Blade Runner ont donné lieu à un final cut. En 2017,  la suite Blade Runner 2049 arrive sur les écrans, réalisé par Denis Villeneuve.

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