Résumé : Tapis rouge, montée des marches, Palme d’Or : du festival de Cannes, le monde connaît la légende qui, chaque année, fait converger vers cette petite station balnéaire sans charme de la Côte d’Azur le gotha du 7e art. En soixante-dix ans, le festival a imposé ses codes au cinéma mondial et s’est mué en un véritable système. Dérives financières, affaires de drogues, scandales sexuels, fêtes somptuaires, secrets d’alcôve : rien ne semble pouvoir égratigner le symbole. Son principe, » tout ce qui se passe à Cannes reste à Cannes « , n’est pas une vaine expression. C’est la réalité derrière les paillettes que Xavier Monnier explore dans ce livre. Au terme d’une enquête minutieuse, il brise le silence protecteur que le festival a instauré autour de son fonctionnement et révèle le vrai visage d’un événement où se jouent réussites et morts commerciales, fins de carrière et naissance de nouvelles étoiles.
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Que le lecteur ne se laisse pas abuser par le titre quelque peu tapageur de cet ouvrage. Car si l’enquête menée par le journaliste indépendant et cofondateur du site Bakchich.info, Xavier Monnier, explore bien les rouages internes du plus grand festival de cinéma au monde, le sexe et les drogues restent limités à une portion congrue. En choisissant d’ouvrir son récit par l’évocation de l’édition 2018 du festival marquée par la montée des marches de 82 représentantes de la profession (actrices, réalisatrices, productrices, distributrices, agents…) dans le but de dénoncer la flagrante inégalité des sexes au sein de l’industrie cinématographique, l’auteur raconte comme la récente libération de la parole des femmes (succédant notamment à l’affaire Weinstein et à la mouvance MeToo) a pu révéler certaines facettes de la direction des festivités cannoises. Car si en apparence les revendications féministes furent immédiatement soutenues par les principaux représentants du festival, ce soutien fut le fruit de différents compromis et positions stratégiques qui caractérisent son identité et son histoire. À partir de la consultation d’archives et la réalisation de nombreux entretiens avec des membres de l’administration du festival ou certains de ses collaborateurs, Monnier propose un état des lieux sans concession de son objet d’étude. Retraçant en détail les différentes étapes à l’origine de la création du festival, l’auteur signale que celui-ci fut immédiatement placée sous le signe de la polémique. L’organisation, finalement avortée, de sa première édition en 1939 cherchait ainsi à s’opposer à la Mostra de Venise et à son orientation fasciste. L’après-guerre n’apaisera qu’en apparence ces tensions et c’est dans un esprit de fédération que le festival de Cannes accueillera en 1946 la projection de ses premiers films.
Monnier explique alors la complexe organisation financière et administrative de la manifestation. L’implication toujours actuelle de différentes instances dans la mise en œuvre de chaque édition donne fréquemment lieu à des rapports de forces qui peuvent mettre en cause la légitimité de certains choix de la direction. Ainsi de la sélection des films dont Monnier remarque la présence de parti pris parfois douteux, à l’image de l’éviction en 2011 de Lars von Trier après ses propos sur Hitler, finalement de retour sur la Croisette en 2018 pour présenter The House that Jack Built.
En choisissant de laisser la parole aux membres des différents comités de sélection et de direction (parmi lesquels Thierry Frémaux), Monnier choisit d’offrir un contrechamp aux scandales, privés ou publiques, qui participèrent à la renommée du festival. L’auteur ne cherche ainsi pas à révéler certaines affaires scabreuses mais à expliquer comment la gestion d’une telle manifestation peut impliquer la présence de postures parfois contradictoires et de concessions curieuses. Ainsi des relations du festival avec le cinéma américain. Si Cannes trouve en ce dernier un moyen d’attirer les foules à grand renfort de stars et de glamour, les producteurs hollywoodiens semblent de moins en moins enclins à risquer le destin commercial de leurs films en les soumettant au jugement de la critique internationale avant leur sortie dans les salles européennes (voir l’exemple de Solo : A Star Wars Story qui en 2018 fut salement éreinté par la presse).
C’est donc finalement la densité de ce réseau d’influences et de paradoxes que cherche à éclairer Monnier, un projet aussi intéressant que louable mais qui aurait dû profiter d’une plus grande valorisation de ses sources (on regrette ainsi l’absence de toute bibliographie et la présence de quelques coquilles dans les notes en bas de page). Envisageant l’ensemble des professions officiellement ou officieusement impliqués (distributeurs, producteurs, réalisateurs, agents, journalistes…) dans la conduite du festival de Cannes, l’ouvrage se révèle aussi captivant que passionnant.
- CANNES CONFIDENTIEL. SEXE, DROGUES ET CINÉMA
- Auteur : Xavier Monnier
- Éditions : Robert Laffont
- Langues : Français uniquement
- Date de parution : 10 juin 2021
- Format : 312 pages
- Tarifs : 19,90 €