Livre / L’attrait des ventriloques : critique

Publié par Jacques Demange le 4 février 2022

Résumé : La figure du ventriloque accompagné de sa marionnette sur les genoux est contemporaine de l’invention du cinéma. Simple coïncidence ? Nombreux sont les films qui explorent sa personnalité insolite, ambivalente, en proie au larcin, à la simulation, au désordre psychique. Sans doute la ventriloquie trouble-t-elle l’opposition par trop schématique de la lettre et de la métaphore au gré de ses jeux de symétrie et de réversibilité. Qui est le ventriloque de qui ? Le critique est-il le ventriloque du film, ou l’inverse.

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Attrait des ventriloques

L’attrait des ventriloques – livre

« La présence d’un ventriloque à l’écran produit toujours un sentiment de désorientation » remarque le cinéaste et théoricien Érik Bullot. C’est justement cette perturbation du champ filmique que cherche à étudier son ouvrage consacré à l’art de la ventriloquie et à ses représentations cinématographiques. Le rapport du marionnettiste au pantin crée un lien en même temps qu’une fracture qui repose sur une série d’enjeux techniques et scénographique que l’auteur étudie à travers une écriture tout à la fois fine et rigoureuse. Du burlesque au fantastique, l’art du ventriloque repose sur une ambivalence qui suscite le rire autant que l’inquiétude. La présence de l’artiste ne va pas sans celle de son double de bois. Bullot remarque ainsi comment les premières productions consacrées à la représentation de ventriloques profitèrent de cette ambiguïté pour réfléchir le dédoublement de personnalité à l’œuvre. Ainsi du duo formé par Edgar Bergen (auteur d’un manuel de ventriloquie paru en 1938) et Charlie McCarthy qui à travers leurs apparitions à la fin des années 1930 et au début des années 1940 problématise cette confusion en cherchant à renverser la relation conventionnelle du créateur et de sa création. Déstabilisé dans ses fondements, le rapport de forces se complexifie alors d’une force d’étrangeté qui renvoie à une problématique plus technique et esthétique concernant la médiation entre l’image et le son. La ventriloquie devient doublement artistique, s’appuyant sur la technique de l’homme de scène et la façon dont le film parviendra à s’en ressaisir pour enrichir son propre discours. La chose apparaît clairement dans Gabbo le ventriloque (1929) de James Cruze avec Erich von Stroheim où le nouveau cinéma sonore trouve dans le rôle du ventriloque un moyen de réfléchir ses principes. Ce caractère autoréflexif dépasse d’ailleurs le cadre de l’écran, Bullot remarquant assez justement en quoi le destin de Gabbo préfigure celui de son interprète bientôt rejeté par l’industrie hollywoodienne.

 

Une impression de familiarité trouble se rattache généralement à la figure du pantin animé qui continue ponctuellement d’investir le cinéma d’horreur. Magic (Richard Attenborough, 1978) ou Dead Silence (James Wan, 2007) profitent ainsi de la suspension du vraisemblable favorisée par la voix simulée pour s’orienter vers le surnaturel. Ce dernier flirte souvent avec le drame psychologique et son versant schizophrénique. Là encore, la frontière entre le sourire et l’effroi devient poreux. Un grain de folie (Melvin Frank et Norman Panama, 1954) décrit ainsi avec humour l’angoisse qui saisit le ventriloque devenu incapable de faire taire les voix qui prennent possession de sa voix et de son esprit.

 

Dans Hitler, un film d’Allemagne (Hans-Jürgen Syberberg, 1977), la marionnette devient un moyen de dédoubler la figure historique pour raconter autrement le récit tragique de l’Occident. Le pantin de bois passe d’accessoire à concept qui assure la libération de voix oubliées en même temps qu’il ouvre le corpus de l’ouvrage à des œuvres extra-cinématographiques. Ainsi de l’installation Becoming (2003) de l’artiste Candice Breitz qui fait de la technique du doublage un moyen de réfléchir la notion d’écart et de renvoyer la fonction mimétique du ventriloque à celle d’un dévoreur d’images. Sujet et objet, motif et problématique, la ventriloquie se constitue donc ici comme une attraction riche de sens et de sensations.

 

 

 

  • L’ATTRAIT DES VENTRILOQUES
  • Auteur : Érik Bullot
  • Éditions : Yellow Now
  • Collection « Côté cinéma/Motifs »
  • Langues : Français uniquement
  • Date de parution : 4 février 2022
  • Format : 96 pages
  • Tarifs : 12 €

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