Cannes 2015/ Mia Madre de Nanni Moretti: critique

Publié par Guillaume Ménard le 17 mai 2015

Synopsis : Margherita est une réalisatrice en plein tournage d’un film dont le rôle principal est tenu par un célèbre acteur américain. À ses questionnements d’artiste engagée, se mêlent des angoisses d’ordre privé : sa mère est à l’hôpital, sa fille en pleine crise d’adolescence. Et son frère, quant à lui, se montre comme toujours irréprochable… Margherita parviendra-t-elle à se sentir à la hauteur, dans son travail comme dans sa famille ?

 

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Mia Madre - affiche

Mia Madre – affiche

Lauréat de la Palme d’Or pour La Chambre du Fils en 2001, Nanni Moretti est réapparu en mai dernier en compétition sur le sol cannois avec Mia Madre. Après Habemus Papam en 2011, l’italien revient donc à ses premiers thèmes de prédilection, une histoire familiale mêlée à des fragments autobiographiques. Il s’intéresse à Margherita (Margherita Buy), son alter-égo féminin tiraillé entre son film sur la lutte ouvrière et sa mère mourante. La scène d’ouverture est éloquente, présentant des manifestants en plans rapprochés, réprimés par la police. Son assistante-réalisatrice intervient, le spectateur découvre alors le plateau de tournage en plan d’ensemble. Cette entrée en matière par la mise en abyme, connue mais efficace, annonce d’emblée la couleur. La représentation de la fiction dans la vie de Margherita, elle-même créée par Moretti. Les premières séquences expliquent directement la fin imminente de sa mère (Giulia Lazzarini) qui inquiète l’héroïne et son frère Giovanni (Nanni Moretti). La mise en scène est brillante de sobriété pour traiter la question délicate du deuil futur. La caméra évite les gros plans larmoyants et la trame sonore se veut davantage discrète que dans La chambre du fils. Moretti utilise souvent les travellings et les zooms avant et provoque ainsi l’émotion grâce à leur rythme lent qui les rend souvent à peine perceptible.

 

Nanni Moretti et Margherita Buy dans Mia Madre

Nanni Moretti et Margherita Buy dans Mia Madre

 

Le récit prend donc le temps de décrire ce chant du cygne, qui ne verse jamais dans le mélodrame. L’arrivée du personnage/acteur Barry Huggins (John Turturro) pour le tournage de Margherita allège la gravité du propos et offre une multitude de scènes burlesques et hilarantes. Figure pathétique et arrogante, Barry se considère comme un grand comédien mais ne se souvient jamais de ses répliques et déteste être dirigé. Cette responsabilité incombe à l’héroïne qui la rejette. Cette réaction intéressante en fait un personnage complexe. Car là où elle devrait se réfugier dans la fiction (sublimation de la vie) pour échapper au réel, elle veut lui échapper pour retourner à sa vie. Ses responsabilités professionnelles, la réalisatrice n’en veut pas, car elle croule déjà sous celles de sa propre vie. La scène fantastique dans laquelle elle s’autoflagelle verbalement devant son équipe en témoigne, pour finir par leur reprocher de l’avoir laissée agir à sa guise. Déni et dépréciation de soi-même, son personnage s’exprime dans son inconscient lors de séquences à la portée onirique, entre rêves et souvenirs, et où son amour pour sa mère se transforme en crainte et en colère.

 

Cette figure maternelle n’est pas une mère courage. Moretti évite les clichés et l’esbroufe. La filiation se reflète davantage dans sa relation avec sa fille Livia (Beatrice Mancini). Les échanges entre les protagonistes sont ainsi très pudiques : le sourire de l’acceptation d’une mère, le regard inquiet d’une fille, les pleurs d’une petite-fille. Moretti décrit avec ingéniosité la crainte de l’absence définitive d’un proche. Quand Margherita se retrouve dans son appartement inondé, c’est le constat d’une vie noyée. L’amour et la perte d’une mère engendrent un mécanisme de culpabilité inhérent à la tristesse qui n’est pas sans rappeler Le livre de ma mère d’Albert Cohen. Au moment où Margherita se retrouve devant les livres de celle qui lui a donné naissance, matérialisation et reliques de toute une vie, c’est la mélancolie du passé qui fait surface. La photographie en devient par moment prophétique. Elle éclaire seulement Margherita dans la chambre d’hôpital de sa mère tandis que cette dernière est plongée dans le noir, presque invisible et absente du cadre renvoyant à l’image d’une veillée funéraire.

 

John Turturro dans Mia Madre de Nanni Moretti

John Turturro dans Mia Madre de Nanni Moretti

 

L’autre sujet fort de Mia Madre est une véritable déclaration au cinéma italien, en particulier au néo-réalisme évoqué par Barry scandant, alcoolisé en voiture, son amour pour Rossellini et Fellini, quand il n’invente pas un prétendu rôle qu’il aurait tenu chez Kubrick. L’amour de l’Italie est ainsi toujours présent. Moretti revendique toujours en filigrane son attachement à Rome. Le final accomplit le but du réalisateur sur la question de la mort, mais surtout celle de la vie, sans tomber dans l’écueil du sentimentalisme. Le score est bien amené, avec des compositions lyriques qui s’ajustent harmonieusement avec le découpage. Quant à l’ensemble de la distribution, elle assure le spectacle. Margherita Buy tient une performance maîtrisée dans la retenue, entre humour et mélancolie, à l’image de Nanni Moretti, davantage en retrait afin de donner le champ libre à toute l’excentricité de Turturro. Ainsi, Mia Madre s’inscrit dans la continuité du cinéma de Moretti, sans toutefois être sa meilleure œuvre. Il continue à développer une mise en scène édifiante de sobriété où chaque réplique, entre loufoquerie et explosion de colère, plonge le spectateur au cœur d’une fiction réaliste, touchante et poétique, qui parle non pas d’une mais de toutes les mères.

 

 

 

  • MIA MADRE de Nanni Moretti en salles le 2 décembre 2015.
  • Avec : Margherita Buy, Nanni Moretti, John Turturro, Giula Lazzarini, Beatrice Mancini, Stefano Abbati…
  • Scénario : Nanni Moretti, Gaia Manzini, Chiara Valerio…
  • Production : Nanni Moretti, Domenico Procacci, Olivier Père
  • Photographie : Arnaldo Catinari
  • Montage : Clelio Benevento
  • Costumes : Valentina Taviani
  • Distribution : Le Pacte
  • Durée : 1h42

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