Synopsis : Durant la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Höss, directeur d’Auschwitz, et sa femme Hedwig tentent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison et un jardin situés à proximité du camp.
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La Zone d’intérêt désignait un terme administratif employé par les dirigeants nazis pour définir la zone de 40 km carrés autour du camp d’Auschwitz, en Pologne. C’est aussi le nom du nouveau long-métrage de Jonathan Glazer, le quatrième en 23 ans. Après Sexy Beast (2000), The Birth (2004) et Under the Skin (2013), le réalisateur britannique offre une œuvre historique, unique, clinique et puissante dans la façon de traiter l’horreur de l’Holocauste, qui fait appel à notre devoir de mémoire. Le film a remporté le Grand Prix du Jury et le Prix FIPRESCI lors du dernier festival de Cannes et a été nommé aux Oscars, aux Golden Globes et aux BAFTA. Sur fond de Seconde Guerre mondiale, La Zone d’intérêt se démarque de tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Ici, Glazer décide de ne jamais montrer face caméra les atrocités commises, où plus d’un million de Juifs ont été exterminés à Auschwitz entre 1940 et 1945, sur les six millions pendant la Shoah, mais de les suggérer. Il se concentre ainsi sur la vie de famille ordinaire et banale du commandant nazi Rudolf Höss (Christian Friedel, Le Ruban blanc), de son épouse Hedwig Höss (Sandra Hüller, Anatomie d’une Chute) et de leurs quatre enfants. Dans cette maison, ils vivent la vie dont ils ont toujours rêvé, à quelques mètres de ce camp d’extermination et dont la seule frontière est un mur de pierre. Cet “espace vital” qui fait la fierté Hedwig Höss, est le principal lieu sur lequel le réalisateur se focalise. Il sonde le quotidien dans les moindres détails. À l’aide de nombreuses caméras, on observe les allées et venues et les habitudes des personnages à travers des plans fixes et des travellings lents. Il nous donne l’impression d’assister à une expérience de laboratoire, filmée par des caméras de surveillance. Glazer instaure une connexion entre le public et cette famille, procédant à une certaine identification par l’ordinaire, le commun, le banal : on écoute cette femme parler de son jardin fleuri, on voit les enfants jouer autour de la piscine, on regarde Höss fumant paisiblement son cigare après une journée de travail.
Le réalisateur prend toujours soin de les capturer de loin, sans jamais utiliser de gros plans sur leurs visages afin de ne pas susciter d’émotions et de garder une distance avec eux. Toute la monstruosité dissimulée est suggérée par l’arrière-plan des images, des sons et des détails. Glazer signe une véritable prouesse sur le hors champ : la fumée d’un train arrivant à destination, les fumées des fours crématoires qui fonctionnent jour et nuit, les bâtisses du camp entourant la maison des Höss. Mais plus encore, il s’agit du travail colossal du sound designer Johnnie Burn, lauréat du Prix CST de l’artiste technicien, qui fait se succéder les sons de l’horreur : coups de fusil, cris de détresse, ordres hurlés en allemand, pleurs des bébés… Ces bruits de fond permanents appuient ce contraste frappant. La journaliste et réalisatrice Laura Poitras (Citizenfour) le formule d’ailleurs très bien, il y a « le film que l’on voit et le film que l’on entend ».
Ce qui nous est totalement insupportable n’est pour les membres de cette famille qu’un bruit anodin, même plus audible. Tout devient d’une banalité glaciale : les cendres servent d’engrais pour le jardin, les vêtements sont distribués à cette “reine d’Auschwitz” et à ses amies, le dernier garçon de la famille imite machinalement les bruits de l’industrialisation du génocide, qu’il entend au loin. La mise en scène au scalpel de Jonathan Glazer place et pousse le spectateur face au miroir de lui-même et à son propre oubli. Il finit par banaliser, par habitude, ce qu’il ne peut pas voir, ce qu’il ne cherche même pas à voir. On fait face ici à des gens des plus “ordinaires”, ôtés de tout signe distinctif et caricatural qui définit le régime nazi. Une parfaite illustration de la banalité du mal, instillée dans le quotidien.
La Zone d’intérêt est une œuvre qui doit ainsi rappeler à tous que l’Histoire doit servir à comprendre notre présent en apprenant des erreurs/horreurs du passé. Le film fait d’ailleurs un parallèle surprenant et ambigu vers la fin entre deux époques. Il montre également que la déshumanisation peut prendre plusieurs formes, aussi bien physique à l’intérieur des camps que métaphorique au sein de la famille.
Florian Rouaud
- LA ZONE D’INTÉRÊT (The Zone of Interest)
- Sortie : 31 janvier 2024
- Réalisation : Jonathan Glazer
- Avec : Sandra Hüller, Christian Friedel, Freya Kreutzkam, Ralph Herforth, Max Beck, Ralf Zillmann, Imogen Kogge, Stephanie Petrowitz, Johann Karthaus, Marie Rosa Tietjen, Luis Noah Witte, Nele Ahrensmeier, Andrey Isaev, Medusa Knopf, Julia Polaczek
- Scénario : Jonathan Glazer, librement adapté du livre du même nom de Martin Amis
- Production : Ewa Puszczyńska, James Wilson
- Photographie : Lukasz Zal
- Montage : Paul Watts
- Décors : Chris Oddy, Joanna Maria Kus
- Costumes : Malgorzata Karpiuk
- Son : Johnnie Burn
- Musique : Mica Levi
- Distribution : BAC Films
- Durée : 1 h 45