Résumé : Quand ils marchent dans les rues de New York, Tanger, Détroit, Séville, Paterson, les héros des films de Jim Jarmusch fabriquent un secret. Une autre allure, pour un autre temps.
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Critique de cinéma et journaliste mais aussi commissaire de l’exposition que consacre le Cinéma Galeries de Bruxelles à Jim Jarmusch (du 24 novembre 2016 au 12 février 2017), Philippe Azoury nous livre ici l’une des meilleurs études jamais consacrées à ce réalisateur si singulier, avec le récent ouvrage de Céline Murillo disponible chez L’Harmattan. Ce Jim Jarmusch, une autre allure, publiée par la prolixe maison d’édition Capricci, se lit comme un poème, les chroniques d’une époque dont le cinéma de Jarmusch signerait la survivance. Chronologique, l’approche d’Azoury s’exprime par la scancion. Un chapitre pour un film, une stratégie qui s’avère payante, offrant au lecteur une vue d’ensemble à la fois foisonnante et synthétique. De ses débuts à la New York University Graduate Film School, Azoury rappelle l’indépendance du cinéaste, sa rencontre avec Nicholas Ray, devenu professeur, et dont la présence fut particulièrement marquante pour lui. Permanent Vacations (1980), son premier film réalisé en 16 mm pour un budget de 15 000 dollars, respire déjà la forme de l’oeuvre en devenir. Il y est question de rencontres, de départs, d’errances urbaines dont la mélancolie élève le parcours au niveau d’une quête existentielle. Il y a du Ray aussi ici, Azoury comparant l’acteur Christopher Parker à un chat, une métaphore féline qu’avait déjà dressé François Truffaut à propos de l’allure de James Dean. Stranger Than Paradise (1984), Down by Law (1986) et Mistery Train (1989) confirment ensuite les attentes et entérinent le processus. Une décennie est passée et le Nouveau Monde a changé, transformant la démarche de ses habitants. « Irrespirable », écrit Azoury, « l’Amérique est devenue infilmable. » D’où l’exil de Night on Earth (1991) dont l’auteur n’hésite pas à souligner la faiblesse de la partie américaine. Si l’auteur revient à raison sur les stéréotypes entourant la persona de Jarmusch, il reconnaît que le cinéaste s’est progressivement enfermé dans une image. Dead Man (1995) apparaît alors comme une résurrection. La reprise du grand geste westernien permet à Jarmusch de redécouvrir le territoire des États-Unis. Le caractère épique du récit engage de nouvelles configurations et démarches qui imprégneront ses films suivants. C’est le temps mis en bouteille de Broken Flowers (2002), le mutisme fédérateur de The Limits of Control (2009), la circularité malaisante de Only Lovers Left Alive (2013), l’évidement hypnotique de Paterson (2016). Qu’affirme en définitive le cinéma de Jim Jarmusch ? L’excellence de la reprise, la répétition libre et non dogmatique. Azoury cite Truffaut, Mizoguchi, Wenders, Ray bien sûr, mais l’on peut songer à d’autres… Michelangelo Antonioni par exemple dont la figure plane sur l’ensemble de l’oeuvre de Jarmusch. Exilé, existentiel, absolutiste, comme lui. Il y a aussi du Flaubert chez Jarmusch qui espère que ses films peuvent être perçus comme des lettres personnelles envoyées à chacun de ses spectateurs. Les (dé)marches sont chez lui porteuses d’une allure centrifuge, c’est-à-dire tournées vers l’extérieur et l’ensemble. Azoury l’exprime merveilleusement bien, en revenant utilement sur la notion de « post-modernité ». Nous imitons un personnage qui en imite un autre. Et avec Jarmusch, soyons en sûrs, la boucle n’aura jamais de fin…
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- JIM JARMUSCH, UNE AUTRE ALLURE par Philippe Azoury disponible aux éditions Capricci, Collection « Actualité critique » depuis le 12 décembre 2016.
- 112 pages
- 8,95 €