Ressortie / Médée de Pier Paolo Pasolini : critique

Publié par Charles Villalon le 15 novembre 2017

Synopsis : Médée la magicienne, fille du roi de Colchide, voit arriver sur sa terre le prince Jason venu enlever la Toison d’or, l’idole de son peuple. Tombée folle amoureuse du jeune Grec, elle trahit sa famille et son pays en dérobant pour lui la Toison d’or et s’exile à ses côtés. Des années plus tard, alors qu’elle lui a donné deux enfants, l’homme pour qui elle a tout abandonné se détourne d’elle pour une femme plus jeune…

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Medee de Pier Paolo Pasolini - affiche

Médee de Pier Paolo Pasolini – affiche

À l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Maria Callas, le distributeur Carlotta ressort en salles une version restaurée du Médée de Pier Paolo Pasolini, unique rôle que la diva ait tenu au cinéma. Maintes fois sollicitée, notamment par John Huston et Joseph Losey, celle-ci n’avait accepté avant cela qu’un seul rôle pour le grand écran ; il s’agissait de… Médée, que devait réaliser Carl Theodor Dreyer. Mais le cinéaste danois était déjà vieux et ses producteurs ont préféré ne pas prendre de risque. Médée est un rôle que la Callas avait déjà joué à l’opéra et qui fut l’un des plus importants de sa carrière. Nul doute que la chose ait eu son importance au moment d’accepter le film. Autre élément important peut-être : peu de temps auparavant, elle avait été abandonnée par Aristote Onassis qui, après dix ans de liaisons, l’a quittée pour épouser la veuve de JFK. De quoi lui rendre proche le personnage de cette femme que la douleur de la trahison amoureuse pousse à l’infanticide. Telle est l’histoire tragique de Médée et il n’est pas inutile de la connaître avant de voir le film. Car Pasolini prend moins soin de nous la raconter que de nous la donner à voir. C’est moins le récit de la tragédie qui l’intéresse que l’univers dans lequel elle prend naissance et se déploie. Le film est en ce sens une vision « documentaire » du monde mythologique qu’il prend pour sujet. Dépeignant avec précision les détails d’un mode d’existence disparu, les scènes ne se succèdent pas selon une logique narrative mais répondent à une nécessité de contemplation ; elles demandent à être perçues plus que comprises.

 

Maria Callas - Medee

Maria Callas – Médée

 

Et que peut-on y percevoir ? On serait tenté de répondre en citant Musset : une humanité qui « marchait et respirait dans un peuple de dieux. » La référence à Rolla n’est pas gratuite ; d’abord parce que la formule exprime au plus près le sentiment de sainteté païenne que l’on ressent à la vision de ces images. Ensuite parce que, comme le poème romantique, le Médée de Pasolini exprime la désolation d’un homme moderne, essoré par l’Histoire, face à la perte du sacré. Le film du poète italien est en effet moins tragique que métaphysique. On en veut pour preuve les monologues de Laurent Terzieff qui ouvrent le film sur ce que l’on pourrait tenir pour une note d’intention du réalisateur. Le centaure interprété par Terzieff fait l’éducation du jeune Jason, l’entretenant de l’époque où l’humanité « ressentait une émotion plus vive devant le spectacle d’une nature divine que l’homme moderne dans ses expériences les plus intimes ». Et de fait, l’univers que filme Pasolini impressionne par le sentiment d’infini et d’éternel qu’il suscite.

 

Moins que les somptueux costumes de Piero Tosi – costumier de Visconti et Fellini –, moins que le décors blancs de pierres, de poussière et de soleil – le tournage s’est déroulé entre la Syrie et la Turquie –, c’est la façon dont chaque image de Pasolini semble avant tout se dessiner sur l’arrière-plan éternel de la terre et du ciel qui donne l’impression d’un ailleurs, aussi bien temporel que géographique. La musique, pensée par Pasolini avec l’aide de son amie, l’écrivain Elsa Morante, faite de chants, de percussions et d’instruments à corde rudimentaires, est omniprésente. Elle approfondit la dimension tribale de ce monde où l’on assassine et dépèce des innocents pour contenter le dieu des récoltes ou ralentir ses poursuivants.

 

Maria Callas - Medee

Maria Callas – Médée

 

Maria Callas, elle, ne chante pas. Ce n’est même pas sa voix que l’on entend dans cette version originale qui ressort en salles, car son accent grec aux intonations vénitiennes était trop identifiable pour la version italienne. Mais elle est splendide. Son visage aux traits si nets, souvent filmé en gros plan, porte à lui seul la dimension tragique du récit. C’est sa beauté hermétique où se lit aussi bien la détresse amoureuse que le sentiment d’exil dans un monde qui n’est plus à la mesure de sa personne qui fait le lien entre le sujet de la pièce d’Euripide et la signification que lui a insufflé Pasolini. Ayant suivi Jason à Corinthe, elle se voit peu à peu délaissée. Finalement bannie de la cité où sa connaissance de la magie est perçue comme une menace, elle décide d’assassiner sa rivale puis ses propres enfants. Contrairement aux massacres du début du film, ces deux morts-là sont donnés avec une extrême douceur. Et quand Jason, dans la cité en feu, court voir celle qu’il a trahi pour lui réclamer les corps de ceux qu’il veut ensevelir dignement, la réponse que fait Maria Callas est à la fois l’expression parfaite du désespoir tragique de Médée et du désespoir métaphysique de Pasolini : « Rien n’est plus possible désormais ».

 

 

 

  • MÉDÉE (Medea)
  • Ressortie salles : 15 novembre 2017
  • Réalisation : Pier Paolo Pasolini
  • Avec : Maria Callas, Giuseppe Gentile, Massimo Girotti, Laurent Terzieff, Margaret Clementi, Paul Jabara, Gérard Weiss, Sergio Tramonti, Luigi Barbini…
  • Scénario : Pier Paolo Pasolini, d’après la tragédie d’Euripide 
  • Production : Franco Rossellini
  • Photographie : Ennio Guarnieri
  • Montage : Nino Baragli
  • Décors : Dante Ferretti
  • Costumes : Piero Tosi
  • Musique : Pier Paolo Pasolini, Elsa Morante
  • Distribution : Carlotta
  • Durée : 1h50
  • Sortie initiale : 28 décembre 1969 (Italie) – 28 janvier 1970 (France)

 

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