Interview/ Dans le regard du compositeur Philippe Sarde

Publié par Jérôme Nicod le 9 août 2015
La Guerre du Feu - bande originale

La Guerre du Feu – bande originale

CC : La Guerre du Feu est un autre sommet de votre carrière, et pourtant votre relation avec Annaud ne dure pas plus d’un autre film, L’Ours...

PS : L’histoire avec Jean-Jacques Annaud a débuté à Los Angeles. Je venais de terminer Le Fantôme de Milburn de John Irvin, film culte. Je me rends à la Fox et je rencontre John Kemeny, un des producteurs de La Guerre du Feu, qui m’annonce qu’il est ruiné et donc pas de moyens pour la musique. Le film ne pouvait sortir en l’état. Je le découvre dans une version muette et en noir et blanc, mais j’ai la capacité d’imaginer l’avenir de certains projets. De retour en France, je prends contact avec Michel Larmand, chez RCA, qui avait financé la musique de Coup de Torchon. Je lui répertorie tout le potentiel de l’œuvre et le questionne sur l’enveloppe budgétaire qu’il pourrait investir pour la musique. Il me répond 500.000 francs (76.000 euros).

 

Je le presse de contacter son patron à New York, Bob Summer, afin de lui montrer un film-annonce que j’avais récupéré. J’étais persuadé qu’avec LA bonne musique, La Guerre du Feu pouvait faire le tour du monde, car il était dénué de tout dialogue. Mais il fallait une bande originale très forte pour prendre le relais. Et qui dit ‘très forte’, dit ‘chère’. Ce n’était pas pour moi, mais pour l’orchestre. Lorsque je pressens que la bande originale va être onéreuse, je n’exige que très peu d’argent pour moi. Ainsi, j’ai les mains libres. Bob a accepté d’ajouter dans l’enveloppe 500.000 francs. Je me suis empressé de contacter Jean-Jacques pour lui annoncer que les fonds étaient réunis, donc nous pouvions démarrer.

 

La Guerre du Feu

La Guerre du Feu

Je l’ai interrogé également sur la raison pour laquelle La Guerre du Feu ne comportait que des plans larges, ça ne m’arrangeait pas. Il m’a répondu simplement qu’il avait tourné mille films publicitaires en étant myope et n’avait donc capturé que des gros plans depuis dix ans : « Maintenant que je vois mieux, je conçois des plans larges ». Il était alors nécessaire de trouver une formation qui « rapproche », d’où le choix de la flûte de pan, dont on perçoit le souffle du soliste. J’ai pris contact avec les percussions de Strasbourg et les ai incité à me rejoindre avec leur matériel : rien de métallique, que du bois.

 

À Londres, après six mois d’écriture, j’ai démarré les enregistrements avec mes deux orchestres symphoniques. Les trois jours suivants, et vingt minutes enregistrées, avaient suffi à épuiser tout le budget. Comme si je n’avais pas déjà assez le trac, Kemeny me précise qu’il a hypothéqué toutes ses maisons. Je le convie à venir écouter l’enregistrement de la bataille. Avec la mélodie, l’image explose, Kemeny m’annonce que je lui ai sauvé la vie. Cependant le budget était asséché. Conseil de guerre entre les producteurs et RCA à Abbey Road pour prendre une décision. Au final, la musique a coûté plus de trois millions de francs (457.000 euros). Pour Le Nom de la Rose, Jean-Jacques a choisi James Horner, mais ils se sont fâchés.

 

L'Ours de Jean-Jacques Annaud

L’Ours de Jean-Jacques Annaud

CC : Pourtant, sur le point de tourner un nouveau film sans dialogue, il revient vers vous, comme le spécialiste des histoires muettes ?

PS : Il est effectivement revenu vers moi pour L’Ours, mais je ne parvenais pas à trouver le thème qu’il voulait. Il désirait Tchaïkovski. J’étais membre du jury à Cannes cette année-là, aux côtés de Claude Berri. Il m’a demandé si L’Ours avait des chances de fonctionner. Je lui ai communiqué que j’étais en train d’écrire la bataille entre l’ours et le chien, et qu’Annaud n’avait pas encore filmé le chien ; ma musique devait l’incarner. Le projet rencontrait des difficultés, mais je restais positif quant à sa potentielle carrière. Malheureusement, Annaud n’a pas utilisé toute ma musique qui aurait davantage touché le grand public, comme un film de Walt Disney. C’est pour cette raison que L’Ours n’a pas rencontré le succès espéré aux Etats-Unis.

 

CC : ll y a deux cinéastes pour lesquels votre musique nous manque : Claude Chabrol, époque Karmitz, et François Truffaut, pour La Chambre Verte par exemple…

PS : Je ne suis pas très ému par le cinéma de Truffaut. Je le trouve un peu surfait. Delerue était finalement très bien pour lui. Quant à Chabrol, il avait un musicien que je respectais beaucoup, Pierre Jansen. C’est son fils qui a ensuite signé les musiques de Jansen pour des raisons familiales. J’ai malgré tout accepté de composer un score pour une publicité des chocolats Meunier, tournée par Chabrol et photographiée par Henri Alekan. Chabrol m’a évoqué son amitié pour Jansen, mais pour une pub, il pouvait lui être infidèle. Alors amusons-nous ! Il m’a avoué aimer particulièrement Bernard Herrmann et ce spot a été tourné un peu à la manière hitchcockienne. Il m’a adressé le film en cassette et je l’ai trouvé très amusant. J’ai ensuite enregistré le score avec 70 musiciens, uniquement des cordes, en hommage à Herrmann dans Psychose. Chabrol a assisté à l’enregistrement et m’a confié que c’était la première fois qu’il voyait une telle formation. Il voulait du Bernard Herrmann, je ne pouvais décemment pas le rendre possible avec un quatuor à cordes ! Il a fini par m’avouer « Avec Pierre, nous n’avons jamais dépassé 10 ou 15 musiciens ».

 

Mort d'un pourri - bande originale

Mort d’un pourri – bande originale

CC : Selon Claude Sautet, vous étiez capable d’écrire de la ‘musique invisible’. À l’inverse, votre musique pour les sept films avec Alain Delon les rehausse notablement, surtout Mort d’un Pourri, devenu un sommet 40 ans après sa sortie.

PS : Mon premier film avec lui était La Veuve Couderc dans lequel il est extraordinaire. J’ai été séduit par l’homme, dès le début. Je l’aime énormément même s’il m’est arrivé de me battre avec lui. Après Deux Hommes dans la Ville, qu’il produisait, Delon m’a convoqué dans son bureau pour le projet Comme un Boomerang avec Giovanni, que je déteste. Dès qu’il m’a raconté l’histoire – en réalité celle de son fils -, j’ai eu envie de disparaître. J’ai décidé de partir à Barbizon où personne n’avait des chances de me retrouver, sans lui avouer ma consternation. Delon fut tellement affolé qu’il incitât Delerue à composer du Sarde. Pour cette fugue, il m’en a longtemps voulu, jusqu’à Mort d’un Pourri. Il ne me parlait plus, ou plus exactement, il faisait semblant de m’ignorer. Pour ce film, j’avais besoin de quelqu’un possédant le même regard que lui, bleu acier. J’ai fait venir Stan Getz, avec le London Symphony Orchestra, pour soulever l’œuvre en lui interdisant toute improvisation. Pour Le Choc, Delon a échappé au metteur en scène, il a tourné seul les séquences au Maroc. La musique était complètement impossible à imaginer sur un film de médiocre qualité. Mais c’était Delon, je lui ai offert Wayne Shorter au saxophone, les musiciens de Weather Report et le London Symphony Orchestra. C’est ça le truc avec Delon, il est une source d’inspiration.

 

CC : Manchette écrivait que le cinéma s’appauvrit continuellement depuis l’avènement du parlant. C’est aussi ce que vous pensez du cinéma d’aujourd’hui. Auriez-vous aimé travailler à l’époque du muet ?

PS : Oh non ! Après Le Fantôme de Milburn avec Fred Astaire et toutes les stars de l’Âge d’or d’Hollywood, j’ai croisé un type qui détenait les droits d’un film muet, peut-être un Fritz Lang, je ne m’en souviens plus. Il m’a demandé d’en écrire la musique. Lorsque j’ai découvert le film, sublime, extraordinaire, je me suis fait très bressonien et j’ai essayé de comprendre la raison pour laquelle il voulait mettre un score sur un tel film. Il m’a avoué qu’il perdrait les droits si je ne composais pas une mélodie. J’ai toujours du mal à composer la bande originale pour un metteur en scène avec lequel je ne parviens pas à discuter. Avec Bresson, au bout de quelques minutes, nous étions d’accord pour ne pas en ajouter. Idem avec Doillon, à peine une quinzaine de minutes s’écoute dans Ponette. Je suis toujours inquiet lorsqu’un réalisateur veut une bande originale imposante, cela signifie qu’il a raté son film.

 

CC : Dans le dernier film de Sautet, Nelly et Monsieur Arnaud, on perçoit très peu de musique, dans l’avant-dernier Hitchcock, Frenzy, beaucoup moins que d’habitude, et pas davantage dans le dernier Eastwood, American Sniper. Trois grands cinéastes en fin de carrière utilisent de moins en moins de musique…

PS : Ils ont raison. Dans le cas d’Hitchcock, ce n’était pas facile après la perte de Bernard Herrmann. Imaginez la scène de la douche sans Herrmann dans Psychose !? De son côté, Eastwood avait un compositeur de Jazz, Lennie Niehaus, qui était très bien et créait de la musique comme j’aime, mais il a cessé de travailler aujourd’hui. Nelly et Monsieur Arnaud possède cette musique « invisible », mais très peu, vous avez raison. Dans la séquence où Emmanuelle Béart dort chez Michel Serrault, on peut entendre un très long passage musical, très discret, qui donne de la sensualité lorsqu’il s’approche et la frôle sans la toucher. Sans mélodie, vous n’obtenez pas l’émotion.

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