Résumé : En 2015, Hollywood a été dénoncé par certains comme l’industrie la plus misogyne des États-Unis et les enquêtes officielles pour sexisme se succèdent. En 2014, l’ONU femmes conclut une étude sur l’impact du cinéma en affirmant qu’il perpétue la discrimination contre les femmes. L’usine « à rêves » aurait-elle tourné au cauchemar ? Était-ce pire (ou mieux) avant ?
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État des lieux sur la situation du cinéma féminin, ce Femmes et cinéma, sois belle et tais-toi ! se propose comme une étude ouverte dont la problématique principale détermine l’approche. Engagée et lucide, celle-ci s’oriente vers une perspective plurielle, tout à la fois historique, économique, sociale et politique. Brigitte Rollet – chercheuse, enseignante à Sciences-Po, et déjà auteure d’un certain nombre d’études consacrées aux femmes et au cinéma français – livre une réflexion synthétique qui déborde le cadre contextuel d’une époque ou d’une nation pour interroger directement notre rapport aux images. Il y a d’abord un appel à la mémoire par la mention des nombreuses femmes ayant joué un rôle dans l’industrie cinématographique française et hollywoodienne. Alice Guy, Germaine Dulac, Jacqueline Audry, Margareth Booth, Barbara McLean, Musidora (qui ne fut pas seulement l’actrice des films-feuilletons de Louis Feuillade, mais aussi la fondatrice d’une société de production), autant de patronymes qui, au-delà des cercles cinéphiles (et encore !) sont depuis longtemps tombés dans l’oubli. Brigitte Rollet a donc raison d’évoquer une « histoire du cinéma souvent amnésique, où les femmes demeurent le plus souvent à la marge », tant il est vrai que la figure féminine a longtemps été cantonné au seul rôle d’actrice ou de script-girl. L’injonction servant de sous-titre à cet essai résume à merveille son entreprise. Sois belle et tais-toi ! est d’abord le titre d’un film de Marc Allégret sorti en 1958, que reprendra près de vingt ans plus tard Delphine Seyrig pour son documentaire, dans lequel de nombreuses comédiennes, comme Jane Fonda, discutent de leur place au sein de l’univers cinématographique.
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Entre ces deux métrages, un monde plein de stéréotypes et d’idées reçues que le temps peine toujours à éroder. Citations (d’actrices, de réalisatrices, de techniciennes ou de théoriciennes), statistiques, rapports et autres bilans accompagnent la lecture. Pédagogique, la posture de l’auteure ne souffre d’aucun didactisme. De Bette Davis à Meryl Streep, en passant par Virginie Efira ou Maïwen, les femmes (d)énoncent leur condition. À nouveau, l’écart qui sépare ces remarques affirme la pérennité d’une attitude qui confine au tragique. Le constat, il est vrai, est souvent amer. Il n’a qu’à se reporter aux palmarès des grands festivals internationaux pour en prendre conscience. Jane Campion, première femme présidente du jury du Festival de Cannes en 2014, et Katheryn Bigelow, première réalisatrice récompensée par un Oscar en 2009 pour Démineurs, restent des cas uniques, comme des exceptions venant confirmer une règle que rien ne semble pouvoir bousculer.
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Et pourtant, les choses avancent, ou tout du moins semblent pouvoir avancer. Ainsi de la présence plus importante de rétrospectives consacrées à des réalisatrices (exemple de Dorothy Arzner au Festival Lumière 2016), de la « Déclaration de Sarajevo » adoptée en 2015 par de nombreux pays membres du Conseil de l’Europe visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes au sein du secteur audio-visuel (des différences de salaire à la parité dans l’attribution des fonds publics), de Woman in Motion au Festival de Cannes, ou encore de 52 Films By Women, initiative lancée par l’organisation Women in Film (sa branche en France), incitant les salles de cinéma à programmer au moins un film réalisé par une femme par semaine.
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Les arguments développés par l’étude sont explicités avec une clarté que renforcent les nombreuses annexes de l’ouvrage (bibliographie, sitographie, filmographie, dates et chiffres clés, et même un quiz). On peut cependant regretter l’absence d’un contre-champ qui aurait pu attester de la possibilité d’un rapport harmonieux entre hommes et femmes. La caste singulière des women’s directors (George Cukor, Vincent Sherman, Edmund Goulding, entre autres) aurait pu en fournir un exemple intéressant : voilà des réalisateurs qui ont su accompagner l’art de leurs interprètes féminines tout en les encourageant à développer leur persona loin des standards hollywoodiens. Cette remarque mise à part, on ne peut que féliciter le projet de cette collection initiée par les éditions Belin en partenariat avec le Laboratoire de l’Égalité, et dont l’ouvrage de Brigitte Rollet prouve toute la pertinence scientifique et cinéphile.
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- FEMMES ET CINÉMA, SOIS BELLE ET TAIS-TOI! par Brigitte Rollet disponibles aux éditions Belin, collection « Égale à égal » depuis le 2 mars 2017.
- 80 pages
- 6.50 €