Synopsis : Une jeune femme se réveille seule dans une unité cryogénique. Elle ne sait plus qui elle est, ni comment elle a pu finir enfermée dans une capsule de la taille d’un cercueil. Tandis qu’elle commence à manquer d’oxygène, elle va devoir recomposer les éléments de sa mémoire pour sortir de ce cauchemar.
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Après quinze années de productions anglo-saxonnes (et principalement américaines), le Français Alexandre Aja revient à la langue de Molière en passant par la case Netflix. Comme à son habitude, le cinéaste choisit de se focaliser sur un trope du fantastique pour décliner sa propre approche d’un genre dont le renouvellement contemporain demeure un sujet problématique. Aja avait déjà repris avec un certain bonheur les thématiques du double (Haute Tension [2003] ; Mirrors [2008]), du monstre marin (Piranha 3D [2009] ; Crawl [2019]) et de la mutation (La Colline a des yeux [2006] ; Horns [2014]) communément perçues comme des moyens d’explorer les limites de la conscience et du comportement humains. Entre dédoublement schizophrénique et bestialité terrifiante, son cinéma s’épanouit dans les eaux troubles de l’identité et de son rapport à l’altérité. À l’instar de La Neuvième Vie de Louis Drax (2016), Oxygène pourrait se présenter comme l’un des aboutissements de cette recherche, mettant en scène un personnage en face à face avec lui-même à l’intérieur d’un espace-temps unique. Car l’angoisse de l’enfermement convoque naturellement à un retour à soi-même, phénomène renforcé par la structure de la mort annoncée qui détermine le tempo du scénario écrit par Christie LeBlanc. C’est d’abord ici que se situe la force de la mise en scène de Aja. Moins qu’un défi à relever, la clôture spatio-temporelle imposée par le huis clos se présente à ses yeux comme un dispositif dont l’homogénéité apparente se doit d’être brisée.
Ce n’est pas tant le cinéma d’horreur qui constitue la principale référence du film, mais plutôt celui de science-fiction. Sur un mode délibérément mineur, Aja reprend à son compte la configuration existentielle du 2001 (1968) de Kubrick. Parce que replié sur lui-même, le mouvement creuse la surface du temps et du plan d’abord considéré comme un espace de projections mentales. La voix de Mathieu Amalric qui accompagne le parcours d’Elizabeth Olsen (Mélanie Laurent) retrouve la neutralité inquiétante de Hal, tandis que l’environnement aseptisé de la capsule se fait à la fois réceptacle à la force lyrique de l’envolée visuelle et à l’implacable oppression du suspense grandissant.
Les mouvements de caméra alternent ainsi entre la douceur du travelling circulaire et l’effet de bascule suscité par le panoramique latéral. Le corps, lui, reste inféodé au principe de la découpe. Gros plans et inserts façonnent la représentation de l’actrice, dynamisant l’espace réduit tout en aménageant une place au hors-champ principalement habité des voix qui balisent le périple du personnage.
Mélanie Laurent, justement, assure le spectacle. Renvoyée à l’essence du jeu d’acteur (expression du visage et exécution du geste), son interprétation rappelle qu’au cinéma un regard peut façonner un monde. La multiplication des angles de prises de vue et le foisonnement des effets de synthèse (privilégiant avec intelligence les formes géométriques et abstraites sur la reproduction anthropomorphique) minimisent moins qu’ils valorisent les capacités de l’actrice, formulant une série de cadres dans le cadre qui insistent sur l’expressivité de ses traits et micro-gestes traduisant un large panel d’émotions et d’attitudes, du désespoir à la résilience, de l’inquiétude à la sérénité passagère.
Oxygène peut enfin se voir et se comprendre comme une métaphore de notre propre quotidien. La capsule prend la forme d’un gigantesque écran diffusant des images et des vidéos dont l’authenticité est toujours sujette à caution. Consciemment ou non, le film véhicule un discours critique sur notre réalité gangrénée par la sphère fantasmatique du virtuel dont la récente crise sanitaire et ses confinements multiples ont encore réaffirmé la puissance.
- OXYGÈNE
- Diffusion : depuis le 12 mai 2021
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Réalisation : Alexandre Aja
- Avec : Mélanie Laurent, Mathieu Amalric, Malik Zidi, Éric Herson-Macarel, Laura Boujenah, Marc, Saez, Vincent Maraval, Brahim Chioua, Grégory Levasseur, Lyah Valade, Annie Balestra..
- Scénario : Christie LeBlanc
- Producteurs : Alexandre Aja, Brahim Chioua, Noémie Devide, Grégory Levasseur, Vincent Maraval
- Photographie : Maxime Alexandre
- Montage : Stéphane Roche
- Musique : Robin Coudert
- Durée : 1h41