Johann Johannsson, le compositeur de Premier Contact, récompensé pour Une Merveilleuse Histoire Du Temps, est décédé ce vendredi 9 février à 48 ans. Le maestro de l’émotion pure, qui aimait les silences autant que les notes, nous laisse un monde silencieux insupportable.
Jóhann Jóhannsson, né le 19 septembre 1969 à Reykjavik, Islande, est mort le 9 février 2018 à Berlin. Sa disparition à l’âge de 48 ans est un choc, et une très grande perte de l’un des plus grands compositeurs actuels de musique à l’image. Une dévastation. Il y a encore quelques jours, il se produisait sur scène à Barcelone. La scène, un voyage émotionnel intègre, joué et interprété en direct, avec une sincérité envoûtante. Nous avions également déjà relaté son concert ensorcelant à Amsterdam en décembre 2016.
Une carrière météorite
Jóhann Jóhannsson démarre sa carrière en 1999 et fonde le groupe Apparat Organ Quartet. Il produit, écrit des titres pour d’autres artistes, compose des morceaux pour le théâtre, des documentaires et des bandes originales pour quelques films. Entre 2002 et 2009, sept albums ont vu le jour avant que le cinéma islandais ne commence à l’accaparer en 2010. Sa rencontre avec Denis Villeneuve, en 2013, le propulse aux États-Unis. Pour ce premier film hollywoodien signé d’un cinéaste canadien, il devait y avoir une pièce d’Arvo Pärt qui ouvrait et qui fermait le film. « Tout le monde pensait qu’elle était irremplaçable » raconte Villeneuve, « Mais je trouvais dommage que Jóhann Jóhannsson ne compose pas tout. Il m’a dit : « Donne moi une semaine ». Il est allé s’enfermer au fin fond de l’Islande, dans une maison en bois. Et il est ressorti avec cette musique extraordinaire qu’on entend, dès le générique. J’étais soufflé. C’est un compositeur de grand talent, capable de battre Arvo Pärt ». La suite de leur collaboration, hélas interrompue par ce décès soudain, est sidérante d’inventions, toujours vers davantage d’intégrité : Sicario (une musique de guerre subtile, sans aucune référence sonore ethnique), puis le chef-d’oeuvre Premier Contact.
Un style unique
La recherche de l’émotion pure a fait de Jóhann Jóhannsson un compositeur unique, sachant jouer avec l’inconscient des notes, des rythmes, des sons et des silences, pour provoquer une émotion choisie chez l’auditeur ou le spectateur. Il considérait que les films comportaient trop de musique, ne laissant pas suffisamment de place au silence, tout autant indispensable, comme il le démontre avec Mother!. Faisant de sa musique une façon de communiquer directement avec les gens et leurs émotions, il est devenu en quelques années un compositeur adoubé par le cinéma d’auteur. Denis Villeneuve, James Marsh, So Yong Kim et dernièrement Darren Aronofsky lui ont offert de merveilleuses collaborations. Il a hissé Premier Contact, par sa géniale composition atonale et sensorielle, au rang de classique du cinéma de science fiction et, selon Steven Spielberg, au niveau de Rencontres du troisième Type.
L’année 2017 a été difficile pour le compositeur islandais. Tout d’abord, sa quatrième collaboration avec Denis Villeneuve s’est soldée par un échec, dans la mesure où le studio, et sans doute le cinéaste lui-même sous la pression des enjeux économiques, lui ont préféré la prestation plus commerciale de Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch, pour Blade Runner 2049. Son travail n’a pas été retenu, il devait en subsister le générique, qui a disparu également. On imaginait d’ailleurs assez improbable la cohabitation entre l’artisan Jóhannsson et le chef d’industrie Zimmer. L’édition du travail de Jóhannsson était attendue comme le Graal par les fans du compositeur. Ensuite, son travail avec Darren Aronofsky, pour Mother!, a connu une trajectoire inattendue, dans la mesure où le compositeur à lui-même suggéré au cinéaste de retirer la musique, jugeant le film artistiquement plus intègre sans elle. Il déclarait à l’époque : « Mother! est un film dans laquelle la demi-mesure n’a pas sa place. Darren et moi avons exploré différentes approches et mon instinct a été d’éliminer entièrement la musique. L’effacement fait partie du processus créatif et, dans notre cas, nous savions que nous devions aller au bout de notre logique ». Admirable fusion artistique entre ces deux hommes intègres au devenir commun si prometteur.
Ses retrouvailles avec James Marsh
L’indispensable musique de son avant-dernier film, Le Jour de Mon Retour (The Mercy), qui sort le 7 mars prochain en France, est déjà disponible chez le prestigieux éditeur Deutsche Grammophon. Pour l’occasion, Jóhannsson retrouve James Marsh, qui lui a permis, avec Une Merveilleuse Histoire du Temps, d’obtenir une première nomination aux Oscars et de remporter le Golden Globe de la meilleure musique. Il y reprend un certain nombre de pistes explorées avec Orphée. L’écoute de l’album, sans avoir encore les images du long-métrage, est un voyage émotionnel adapté à la circonstance de la disparition du plus prometteur compositeur de ces dernières années. Positif, emballé, introspectif, élégant, douloureux, solitaire, généreux, intègre Jóhann Jóhannsson.
Johann Johannsson
Albums
2002 : Englabörn (2002, Touch)
2004 : Virðulegu Forsetar (2004, Touch)
2004 : Dís (2004, 12 Tónar)
2006 : IBM 1401, A User’s Manual (2006, 4AD)
2007 : Englabörn (2007, 4AD)
2008 : Fordlândia (2008, 4AD)
2009 : And In The Endless Pause There Came The Sound Of Bees (2009, Type Records)
2016 : Orphée (2016, Deutsche Grammophon)
Filmographie (longs-métrages)
2000 : Íslenski Draumurinn de Róbert I. Douglas
2000 : Óskabörn þjóðarinnar de Jóhann Sigmarsson
2002 : Maður eins og ég de Róbert I. Douglas
2004 : Dís de Silja Hauksdóttir
2005 : Ashes and Snow (Documentaire)
2006 : Blóðbönd d’Árni Ásgeirsson
2007 : Ópium: Egy elmebeteg nö naplója de János Szász
2007 : Voleurs de Chevaux de Micha Wald
2008 : Svartir Englar (Série TV)
2009 : Personal Effects de David Hollander
2009 : Drømme i København (Documentaire)
2010 : The Miners’ Hymns (Documentaire)
2011 : The Good Life (Documentaire)
2012 : De día y de noche d’Alejandro Molina
2012 : For Ellen de So Yong Kim
2012 : Free the Mind (Documentaire)
2012 : Sort hvid dreng (Documentaire)
2012 : Mystery (Fu cheng mi shi) de Ye Lou
2012 : Copenhagen Dreams de Max Kestner
2013 : Prisoners de Denis Villeneuve
2013 : McCanick de Josh C. Waller
2014 : Tui na de Ye Lou
2014 : Une merveilleuse histoire du temps (The Theory of Everything) de James Marsh
2014 : Så meget godt i vente (Documentaire)
2014 : Un enfant dans la tête (I Am Here) d’Anders Morgenthaler
2015 : Sicario de Denis Villeneuve
2015/2016 : Ófærð (série TV)
2016 : Lovesong de So Yong Kim
2016 : Premier Contact (Arrival) de Denis Villeneuve
2016 : I Blodet de Rasmus Heisterberg
2017 : A hentes, a kurva és a félszemü de János Szász
2017 : Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve (musique non retenue au montage final)
2017 : Mother! de Darren Aronofsky (musique non utilisée au montage final)
2018 : Mandy de Panos Cosmatos
2018 : Le Jour de mon retour (The Mercy) de James Marsh
2018 : Marie Madeleine (Mary Magdalene) de Garth Davis