Synopsis : Jacques Pora, un bon à rien qui rêve de devenir riche, débarque dans une communauté Emmaüs, dont la responsable est sa sœur Monique, qu’il n’a pas vue depuis des années. Il va pouvoir y monter sa « grande idée » : une affaire de chirurgie esthétique low cost…
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Gustave Kervern et Benoît Delépine, trublions du Groland, se sont taillés au fil des années une réputation de réalisateurs sociaux, à travers une série de road movies absurdes, satiriques et engagés. Après la tonalité humaine plus que sociale des récents Near Death Experience et Saint Amour, ils reviennent à leurs premières amours, la confrontation de l’ultralibéralisme et du monde libertaire, qu’ils avaient dernièrement explorée dans Le Grand Soir, en 2012. Quand on voit Jacques, un crétin, petit escroc, bronzé en permanence et imbu de lui-même, obsédé par la « grande idée » qui lui permettra de devenir riche, qui cite à tout va (et à peu près) Donald Trump et Bill Gates, pas besoin d’aller bien loin pour voir la critique de la politique d’Emmanuel Macron. Encore davantage quand il parle du « vieux monde » et se présente comme un entrepreneur « en marche ». Jean Dujardin, entouré d’acteurs non-professionnels, détonne déjà, avec son statut de star : il ressert son interprétation d’OSS 117, celle du benêt persuadé d’avoir raison, qui fonctionne très bien dans un tel décalage. Face à lui, Yolande Moreau, en responsable d’Emmaüs nostalgique du communisme, qui finit par suivre son frère pour tenter de surnager dans sa dépression, sonne plus juste. Une myriade de seconds rôles, souvent de véritables volontaires d’Emmaüs, complète la distribution ; mention spéciale à Jo Dahan, ex-Mano Negro et ex-Wampas, en ébéniste, et au syndicaliste Xavier Mathieu, parti dans le cinéma après s’être distingué lors de la lutte pour l’usine Continental de Clairoix, qui joue un self-made millionnaire dans une courte séquence.
Tourné en cinéma-vérité dans une communauté Emmaüs (celle de Lescar, dans les Pyrénées-Atlantiques, avec ses couleurs acidulées), rythmé par les interventions musicales des Motivés et les dessins de l’Abbé Pierre ou de Che Guevara en arrière-plan, I Feel Good est comme, dans toute l’œuvre de Kervern et Delépine, une ode aux délaissés de la mondialisation. La « France d’en bas », les « sans-dents », qui sont heureux et se moquent totalement du « nouveau monde » et de l’enrichissement à gogo qu’on leur propose. Et les disciples de Bill Gates, comme Jacques, s’avèrent bien plus minables que ceux qu’ils rêvent d’élever et/ou d’exploiter. Mais la satire est justement trop évidente et retombe parfois comme un soufflé. On ne retrouve pas le souffle totalement absurde qui habitait Louise-Michel ou Le Grand Soir ou la poésie douce-amère qui émanait de Mammuth ou de Saint Amour. On attendait la rage féroce des auteurs contre le capitalisme forcené ; on trouve une gentille farce, où face au méchant capitaliste, tout le monde il n’est pas beau, mais tout le monde il est gentil. Si la rage n’est pas au rendez-vous, le spectateur feels good néanmoins. Car le duo Kervern/Delépine demeure à son aise dans la caricature et la comédie de caractères, servies par une distribution aux petits oignons et un bon script. Et si le pire, c’était que le nouveau monde est déjà trop grotesque pour être tourné en dérision ?
Arthur de Boutiny
- I FEEL GOOD
- Sortie salles : 26 septembre 2018
- Réalisation : Gustave Kervern et Benoît Delépine
- Avec : Jean Dujardin, Yolande Moreau, Jo Dahan, Lou Castel, Jean-Benoît Ugeux, Jean-François Landon, Jana Bittnerova, Elsa Foucaud, Marius Bertram
- Scénario : Benoît Delépine, Gustave Kervern
- Production : Benoît Delépine, Marc Dujardin et Gustave Kervern
- Photographie : Hughes Poulain
- Montage : Stépahen Elmadjian
- Décors : Philippe Hournon
- Costumes : Agnès Noden
- Musique : Les Motivés
- Distribution : Ad Vitam
- Durée : 1h43