Résumé : Depuis L’Amour (1990), son premier long-métrage, jusqu’à Amin (2018), en passant par Samia (2000) ou Fatima (2015), le cinéma de Philippe Faucon accorde une place privilégiée aux personnages issus des minorités, qui atteste d’une réflexion citoyenne sur la vie de communautés bien souvent tenues en marge. Toutefois, la réalité sociale représentée dans ses films ne cède jamais à un quelconque militantisme démonstratif. Au contraire, les situations qu’il envisage sont saisies dans toute leur complexité et se développent parfois dans un réseau de paradoxes que le cinéaste n’entend surtout pas esquiver. Évoquant la guerre d’Algérie dans La Trahison (2005), s’intéressant très tôt à la montée du djihadisme en France avec La Désintégration (2011), filmant des homosexuels masculins et féminins (Sabine, 1992 ; Muriel fait le désespoir de ses parents, 1995 ; Les Étrangers, 1997 ; Fiertés, 2018), traitant de l’échec scolaire et de ses conséquences sur l’avenir (Grégoire peut mieux faire, 2002), le cinéma de Philippe Faucon envisage le réel non comme un état des choses mais comme un potentiel de modifications. Ce volume d’Éclipses revient sur l’essentiel de sa filmographie.
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Consécration d’une production unique autant que celle d’une filmographie, le César du meilleur film obtenu en 2016 par Fatima a permis de mettre en lumière l’œuvre de Philippe Faucon. Débutée en 1990 avec L’Amour, la carrière du réalisateur exprime une cohérence remarquable qui résout à elle seule la petite polémique que suscita son accès à la récompense annuel décernée par le cinéma français (Guillaume Gallienne et, à sa suite, Daniel Auteuil, avaient ainsi exprimé leur étonnement face à un film dont ils ne percevaient pas le caractère artistique). En introduction à ce nouveau numéro de la revue Éclipses, Yann Calvet prend ainsi soin de souligner la valeur esthétique d’un cinéma marqué par son discours socialement engagé, l’inscrivant directement dans la lignée des productions néoréalistes. L’idée est belle et prend son entière mesure auprès des différentes contributions constituant cet ensemble. L’étude attendue des personnages (l’adolescent, l’immigré…) et des thématiques (l’amour, le déracinement, le rapport à l’autre et aux autres…) se confronte directement à des problématiques de mise en scène prenant forme à travers l’analyse d’un cadrage particulier, du découpage d’une séquence, ou de problématiques plus générales entretenant un lien avec l’Histoire (la guerre d’Algérie dans La Trahison) ou la société contemporaine. Cette approche analytique se voit particulièrement bien servie par la présence de captures d’écran qui permettent de comprendre la portée visuelle des différents films étudiés. Entre l’attrait de la fiction et la valeur brute du documentaire (ce fameux « réel émancipé » qui donne son titre au numéro), le cinéma de Faucon aménage une place de choix aux minorités et à leur dilemme identitaire. Loin de chercher à généraliser les cas qu’il choisit d’inscrire dans son champ, le réalisateur souligne leurs singularités entre émotions, affects et endurance. Le point de vue n’est donc jamais unique mais multiple, les films de Faucon proposant moins des portraits isolés que des éléments d’une fresque élargie aux dimensions d’une histoire collective. Du scénario aux images, cette quête délibérément fragmentaire, au dénouement sans cesse mis en suspens, évite soigneusement les maladresses de l’approche déontologique. Faucon regarde et raconte donc le monde depuis et à travers le cadre de ses films qui oriente sans cesse le spectateur vers un hors-champ tour à tour fantasmatique et discursif. Dans le plan, le contact des corps se superpose à l’expressivité sensible des silences et des non-dits. Se concluant par un entretien inédit avec le cinéaste, ce volume restitue à la filmographie de Faucon sa valeur d’œuvre écorchée et pleine, et accompagne la parution du formidable essai que Luc Vancheri a consacré à Fatima aux Presses universitaires de Strasbourg en 2019.
- PHILIPPE FAUCON. LE RÉEL ÉMANCIPÉ
- Auteurs : Yann Calvet et Hélène Valmary (coordonné par)
- Éditions : Revue Éclipses, n°65
- Langues : Français uniquement
- Date de parution : 2020
- Format : 144 pages
- Tarif : 15 €