Mais s’il est aisé de glisser des clins d’œil aguicheurs, les frères Duffer ne se contentent pas d’un fan service superficiel. En témoigne l’importance scénaristique du jeu Donjon & Dragons qui, en plus d’ouvrir la série, donne leurs noms aux monstres du Monde à l’envers. Le rapport des adolescents au jeu fait aussi état de leurs évolutions personnels : dans la saison 3, Mike et Lucas déçoivent Will en s’intéressant plus aux filles qu’à leur partie, et dans la saison 4, c’est une participation intéressée à un match de basket qui empêche Lucas de rejoindre un combat de boss.
La bande-son est elle aussi au cœur de cette matrice référentielle, que ce soit les compositions originales ou le réemploi de morceaux des années 80. Le synthé du générique évoque par exemple les thèmes de John Carpenter, et la musique de la confrontation avec D’Artagnan est directement inspirée de celle de Gremlins. À côté de ça, le phénomène Kate Bush démontre aussi la capacité de Stranger Things à remettre au goût du jour des productions inconnues des nouvelles générations. En quelques jours, Running Up That Hill a explosé sur les plateformes musicales, au point de devenir une tendance TikTok à part entière. C’est que le titre n’accompagne pas seulement une scène, il est surtout rejoué en boucle pour permettre à Max d’échapper à Vecna.
Dans la première saison, c’était Should I Stay Or Should I Go qui permettait aux enfants de retrouver Will, démontrant l’importance narrative que les showrunners accordent à leur bande-son. Moins commenté mais tout aussi marquant, l’épisode 7 de la saison 4 accompagnait les révélations de Vecna du formidable Prophecies de Phillip Glass, issu du film non moins fordmidable Koyaanisqatsi. Zack Snyder en faisait le même usage dans son Watchmen, lorsque le Dr. Manhattan racontait l’origine de ses pouvoirs. Le roman graphique d’Alan Moore ayant été publié en 1986, il n’est pas improbable qu’il s’agisse d’ailleurs d’une autre référence indirecte.
Si la série est, on l’a vu, souvent dans la citation, elle échappe quand même à la tendance nostalgique béate de ces dernières années. La société de consommation, au sommet dans les années 80, est à plusieurs reprise mise en parallèle avec les dangers du Monde à l’envers. C’est par exemple devant une pub Coca-Cola qu’Eleven se remémore pour la première fois les expérimentations qu’elle a subi. Quant au centre commercial de la saison 3, dont il nous est dit qu’il affaiblit les boutiques locales, il se révèle surtout être le refuge de scientifiques tentant d’ouvrir une faille dont s’échappent de dangereuses créatures. La saison 4 évoque aussi, de manière plutôt maline, l’uniformisation croissante des boutiques franchisés qui envahissent les États-Unis. Mais cette fois, il s’agit d’un atout permettant à Eleven de rejoindre l’esprit de Max depuis un congélateur de pizzeria.
Cette critique sociale demeure toutefois nettement moins virulente que celle de The Boys, autre série contemporaine avec laquelle Stranger Things partage d’étonnantes similarités. En effet, dans les deux cas, des organisations scientifiques récupèrent des enfants afin de leur faire développer des super-pouvoirs, dans l’espoir plus ou moins direct de fonder une force militaire. Mais si la série de Prime Vidéo utilisait ce point de départ comme parodie généralisée d’une Amérique sans foi ni loi, la logique des frères Duffer est bien moins cynique. Chez eux, le complot expérimental s’inscrit comme un stéréotype fictionnel, dont l’intérêt principal est le divertissement.