The Killer de David Fincher : critique 

Publié par CineChronicle le 18 novembre 2023

Synopsis : Après un désastre évité de justesse, un tueur se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde qui n’a soi-disant rien de personnel…

 

♥♥♥♥

 

The Killer - Affiche

The Killer – Affiche

De House of Cards à Mank en passant par Mindhunter, David Fincher a toujours occupé une place particulière auprès de Netflix, jusqu’à devenir une sorte de parrain artistique de la plateforme de streaming. Et de son côté, celle-ci reste toujours prête à lui donner carte blanche, ce qui permet au réalisateur de pouvoir ressortir l’un de ses projets rêvés. Car The Killer, adaptation de la bande dessinée française Le Tueur, attendait dans les tiroirs depuis près d’une quinzaine d’années. Trois ans après Mank, The Killer semble représenter pour Fincher un grand écart artistique. Loin des considérations historiques sur la genèse du cinéma de son précédent film, Fincher illustre ici un pur pitch de série B dégraissé jusqu’à l’os. Cette histoire de tueur à gages (presque) infaillible qui se retourne contre ses employeurs, beaucoup l’ont déjà raconté dans d’innombrables polars d’action. Mais le bonhomme n’est pas le premier faiseur d’images venu, et ne va pas se contenter d’illustrer le récit attendu, sans pour autant tourner le dos au simple plaisir de série B. Avant même de se plonger dans les passionnantes interprétations thématiques, ce qui frappe dans The Killer, c’est la maîtrise absolue de Fincher sur son art. Pas un plan ou un raccord semble n’avoir été au préalable minutieusement pensé pour instantanément s’imprimer sur nos rétines. Si le cinéaste a toujours été réputé pour son infaillible technicité, il lui est parfois arrivé d’un peu trop chercher la prouesse graphique aux dépens de son récit. The Killer témoigne au contraire d’une grande cohérence entre maestria visuelle et narration. Les tours de force et expérimentations se fondent parfaitement dans l’intrigue et l’univers posé. Loin de la caméra traversant l’anse d’une cafetière dans Panic Room, le regard de Fincher épouse celui du tueur et de ses évolutions. Le film débute ainsi sur une réalisation calme et posée avec des mouvements amples et des cadres symétriques, alors que le tueur est en pleine maîtrise de son environnement. De même, à l’instant où le protagoniste perd toute impression de contrôle, la mise en scène bascule vers quelque chose de plus brut, moins clinique.

 

Michael Fassbender - The Killer

Michael Fassbender – The Killer de David Fincher / Crédit Netflix

 

Les lents travellings et les plans larges minutieusement composés font ainsi place à des cadres resserrés et à une caméra tremblante, traduisant l’urgence et la perte de repères. Fincher ne cède cependant pas à un cadrage illisible et malgré le chaos injecté à sa mise en scène, il parvient à la garder parfaitement lisible. À ce titre, la longue séquence de combat central, parfaitement chorégraphiée et montée, restera probablement l’une des scènes d’action les plus impressionnantes de ces dernières années. Participant tout autant à l’immersion, la musique de Trent Reznor et Atticus Ross (à l’œuvre sur tous les films de Fincher depuis The Social Network) illustre bien la psyché perturbée de l’antihéros.

 

Cependant, la maîtrise technique absolue n’est pas sans coût et comme souvent avec Fincher, il faut réussir à passer outre une froideur et une sécheresse peu propice à l’empathie. L’argument émotionnel typique de ce genre de récit est expédié en une paire de scènes qui ne conféreront aucun impact au reste du film. La dimension intime que pourrait prendre la vendetta du personnage devient ainsi inexistante, alors qu’elle aurait dû rendre le restant du métrage d’autant plus prenant. Dans la peau de cet antihéros, Michael Fassbender fait pourtant des merveilles. Habitué souvent à des rôles d’homme froid et mutique, de Steve Jobs à Prometheus, l’acteur incarne parfaitement le perfectionnisme glacial du tueur, tout en lui apportant une humanité inattendue. Il ne peut néanmoins totalement rattraper le manque d’enjeux émotionnels, dilué dans le film.

 

Passé ces quelques points qui en laisseront certains sur le bord de la route, The Killer se révèle être un passionnant portrait de Fincher lui-même, mais aussi un constat amer et ironique sur l’état de nos sociétés actuelles. Le parallèle a bien sûr été évoqué, dès la diffusion du premier trailer, le personnage de Fassbender peut être perçu comme un avatar du réalisateur. Depuis ses débuts, le cinéaste s’est en effet forgé une image et une réputation kubrickienne de perfectionniste acharné, capable de faire plusieurs dizaines de prises pour obtenir la scène parfaite.

 

Michael Fassbender - The Killer

Michael Fassbender – The Killer de David Fincher / Crédit Netflix

 

De la même manière, le tueur répète inlassablement les mêmes gestes minutieux, pour pouvoir accomplir son art meurtrier. Mais cette maîtrise n’est que façade. Persuadé d’être dans un contrôle absolu, comme il l’affirme lui-même en énonçant ses mantras en voix-off, le tueur n’est finalement qu’un individu dépassé par le système qu’il croit exploiter. Si la scène d’introduction présente un homme sûr de lui, assénant une vision du monde cynique et individualiste, le ver semble déjà dans le fruit. Les codes de vie qu’il énonce sont ainsi contredits par ses actions, révélant à quel point cet électron libre n’est qu’une victime plus ou moins consciente de l’ordre du monde.

 

Car pour parvenir à ses fins, il exploite différentes plateformes connues, d’Amazon à Airbnb en passant par Uber Eats. En utilisant ces outils du capitalisme moderne, il accepte de jouer le jeu d’une société qu’il rejette. Sa trajectoire prend dès lors des allures de miroir inversé de celle du narrateur de Fight Club. Là où ce dernier n’était qu’un homme lambda qui tentait de s’extraire d’un monde aliénant, le tueur se rend progressivement compte que, loin d’être exceptionnel, il appartient bel et bien au système.

 

Sous ses dehors de film d’action, The Killer s’avère finalement être une œuvre déroutante, profondément ironique et désabusée. Si certains pourront être déstabilisé par le rythme ou le ton, impossible de ne pas reconnaître que la vision de Fincher est, une fois de plus, aussi juste que passionnante.

 

Timothée Giret

 

 

 

  • THE KILLER
  • Diffusion : 10 novembre 2023
  • Chaîne / Plate-forme : Netflix
  • Réalisation : David Fincher
  • Avec : Michael Fassbender, Charles Parnell, Arliss Howard, Kerry O’Malley, Sophie Charlotte, Emiliano Pernía, Gabriel Polanco, Tilda Swinton…
  • Scénario : Andrew Kevin Walker
  • Production : Ceán Chaffin
  • Photographie : Erik Messerschmidt
  • Montage : Kirk Baxter
  • Décors : Donald Graham Burt
  • Costumes : Cate Adams
  • Musique : Trent Reznor et Atticus Ross
  • Durée : 1 h 59

 

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